L'Expansion du Soi

Swami Rama Tirtha

Conférence donné le 16 décembre 1902, à l'Académie des Sciences de San Francisco

Traduction française : Gaura Krishna

 

Mon propre Soi sous la forme de Mesdames et Messieurs,

Ce soir, nous allons entendre quelque chose sur l'Expansion du Soi; vous pourriez dire sur les degrés de la vie, sur les niveaux d'avancement spirituel, ou vous pourriez appeler le sujet 'degrés dans la subtilité de l'égoïsme.' La conclusion à laquelle nous arriverons sera peut-être surprenante.
 Le dessin que vous voyez devant vous consiste en une ligne droite et des cercles. Vous allez dire : "A quoi çà sert ? Que viennent faire des cercles avec l'épanouissement du Soi ?" Certains se disent en leur coeur : ce ne sont pas des cercles, ils sont très courbés, ce sont plutôt des ellipses." Mais ces cercles sont là pour indiquer les catégories de vie, qui ne sont pas exactement circulaires, mais en quelque sorte tortueuses et elliptiques, et qui justifient l'imperfection des cercles; ils représentent exactement, dans leur déviation et leur imperfection, ce qu'ils doivent indiquer.

 

Avant de commencer avec ce qu'est la vie et les degrés de la vie, nous devrons dire quelques mots sur ces cercles.

Voici le cercle le plus petit, un bec très petit. On aurait même du le faire encore plus petit que cela, mais ne peur de ne pas pouvoir le voir si on le faisait plus petit, on l'a dessiné assez grand pour qu'il soit visible. Nous avons au-delà de celui-ci un deuxième cercle, plus large que le minuscule bébé-cercle, et à l'extérieur de ce dernier un troisième, puis un quatrième. Une de leurs particularités est qu'alors que le cercle s'agrandit, s'élargit, son centre s'éloigne du point de départ A, sur la ligne droite qui est une tangente commune à tous les cercles. Le centre s'éloigne, le rayon s'accroît et le cercle s'élargit. Si le centre du cercle est très proche du point de départ A, et si on le rapproche encore plus jusqu'à le faire coïncider avec le point de départ, le cercle devient un point. Un point est ainsi la position limite d'un cercle dont le centre est devenu très proche du point de départ, et lorsque le centre continue de s'éloigner du point de départ, le rayon continue de croître jusqu'à devenir infini ou jusqu'à ce que le centre se déplace à l'infini vers le haut, le cercle devient alors une ligne droite. La ligne droite est ainsi la position limite d'un cercle dont le centre se déplace à l'infini vers le haut ou dont le rayon est infini.

Une autre particularité que nous notons est que plus le cercle est grand et plus il se rapproche de la tangente, la ligne droite et sa courbure continuent de décroître alors que le cercle s'agrandit. Nous remarquons ainsi que le cercle plus large qui a pour centre D ressemble au point A beaucoup plus à une ligne droite que le cercle interne qui a pour centre C, et ce cercle intérieur ressemble plus à une ligne droite que le cercle qui a pour centre B qui se trouve à l'intérieur. C'est pourquoi la terre, bien que shpérique en réalité, nous apparaît plate lorsque nous en regardons une partie, les cercles en coupe de la terre étant infiniment larges à l'oeil nu. Ça ira pour les cercles.

La vie ! Quel est la caractéristique particulière de la vie ? Qu'est-ce qui distingue la vie de l'état inanimé ou du manque de vie ? C'est le mouvement, l'énergie et l'activité. C'est la manière générale de voir la question. On peut aussi résumer dans cette définition les définitions de la vie que donne la science. Un homme vivant peut avancer, marcher, faire toutes sortes de choses. Une momie morte ne peut manifester ces formes d'énergie ni ce déplacement, ce mouvement que l'homme vivant manifeste; un animal mort ne peut pas se déplacer; l'animal vivant marche, court, fait toutes sortes de choses. La plante morte ne peut pas pousser; elle est dépourvue de mouvement, entièrement dépourvue d'activité. Une plante vivante pousse, exprime le mouvement.

Nous voyons encore que l'on fait généralement quatre distinctions dans les degrés de la Vie, ou que ce monde est divisé en quatre domaines principaux : le minéral, le végétal, l'animal et l'homme. Dans ce monde, nous voyons que l'homme fait montre de plus d'énergie, de plus de mouvement, d'une sorte supérieure de mouvement que ne le font les animaux. Les animaux peuvent simplement se déplacer, courir ou escalader les montagnes, mais l'homme fait toutes cela et plus encore. Il fait beaucoup d'autres choses. Il manifeste ou fait preuve de mouvement et d'énergie à un degré supérieur. Au moyen de télescopes il peut atteindre les étoiles. Les animaux ne peuvent pas le faire. L'homme peut contrôler les animaux. Il annihile le temps et l'espace grâce à la vapeur et à l'électricité. Il acquiert une rapidité inconnue des animaux. Il peut envoyer instantanément des messages dans n'importe quelle partie du monde. Il peut naviguer dans les airs. Tel est le mouvement de l'homme, l'énergie de l'homme, manifestation de pouvoir dans le monde. Les animaux n'atteignent pas l'homme pour ce qui concerne la manifestation ou l'exhibition d'énergie et nous voyons que les animaux sont inférieurs à l'homme dans l'échelle de la vie.

Comparez encore le royaume végétal au royaume animal. Les légumes aussi grandissent. Ils se meuvent, mais leur mouvement ne se fait que dans une dimension, ils ne peuvent monter en ligne droite, ils ne peuvent aller d'ici à là, ils sont fixés en un endroit. Ils envoient leurs branches dans toutes les directions et portent leurs racines très profond; mais la manifestation ou l'expression d'énergie des végétaux est de loin inférieure à celle du royaume animal, et nous voyons là que les végétaux sont inférieurs aux animaux dans l'échelle de la vie. Les minéraux n'ont pas de vie en eux. A vrai dire, si nous définissons la vie de la manière dont le font les biologistes, alors ils n'ont pas de vie. Mais si nous notons les degrés de vie d'après la révélation et la manifestation d'énergie, nous devons dire que les minéraux manifestent aussi une sorte de mouvement; ils passent eux aussi par un changement; le changement leur est aussi indispensable.

Il ont ainsi aussi en eux de très petites traces de vie, mais leur vie est fort insignifiante, étant au bas de l'échelle, parce que l'activité, le mouvement, l'énergie qu'ils révèlent est insignifiante, infinitésimale. Il est donc clair que la vie qui est caractérisée par le mouvement est classée selon les degrés de mouvement ou d'énergie.

Bon, dans la Nature, le plan est qu'il ne doit rien y avoir de nouveau sous le soleil. Nous remarquons que malgré cette apparente variété, en dépit de toute cette 'multiformité', la Nature ou l'Univers est très pauvre. La même Loi qui gouverne l'écoulement d'une larme de l'oeil de l'amoureux gouverne aussi la révolution des soleils et des étoiles. De l'atome le plus minuscule à l'étoile la plus lointaine, nous trouvons les mêmes lois simples que l'on pourrait compter sur le bout des doigts qui contrôlent et gouvernent tout. La Nature ne fait que se répéter. On peut comparer cet Univers à une vis ou à une spirale dont chaque filet est de même constitution, ou on peut le comparer à un oignon. Enlevons une enveloppe et nous avons une autre enveloppe du même genre; enlevons la et nous en trouvons une autre du même genre; pelons la et nous avons une autre enveloppe de même modèle. Exactement de la même manière, ce que nous avons dans une année entière, nous l'avons en miniature toutes les 24 heures. On peut comparer le matin au printemps. On peut comparer le midi à l'été. L'après-midi et le soir peuvent bien être comparés à l'automne et la nuit peut l'être à l'hiver. Nous avons ici, en 24 heures, l'année entière reproduite en miniature. L'homme, embryon, répète avec une merveilleuse rapidité toute l'expérience passée des formes de vie qu'il a habitées avant de prendre la forme humaine. Les formes de poisson, de chien, de singe, etc., sont toutes, l'une après l'autre, assumées par le foetus dans l'oeuf avant d'atteindre la forme de l'homme-enfant. Ainsi, suivant le plan normal de l'évolution, selon la loi générale qui gouverne le monde entier, nous voulons découvrir si dans le corps ou la forme de l'homme se trouvent reproduits de manière pratique les royaumes minéral, végétal et animal.

Sous forme d'homme, n'y a-t-il pas des gens qui sont, pour ainsi dire, des minéraux ? Sous forme d'homme, n'y a-t-il pas des personnes qui sont dans l'état du royaume végétal et n'y a-t-il pas des gens sous forme d'homme qui se trouvent dans l'état du royaume animal ?

Sous la forme de l'homme, voyons s'il y a des hommes qui sont réellement des hommes, et sous la forme de l'homme, voyons s'il y a des hommes qui sont des dieux.

Nous parlerons d'abord des minéraux moraux et spirituels. Le royaume minéral ne manifeste apparemment aucun mouvement; extérieurement il ne fait montre d'aucune énergie, mais il connaît pourtant une sorte d'énergie, car nous voyons des minéraux passer par le changement; il y a, même chez les minéraux, désintégration et développement. Ils cristallisent et poussent. Cette terre que nous regardons comme stable quand on la compare à la mer, cette terre qui semble solide monte, tombe, connaît des ondulations et des changements. Ainsi les minéraux ont eux aussi en eux une sorte de mouvement, quoique extrêmement peu discernable.

Bien, qui sont ceux qui, sous forme humaine, n'ont que le même genre de mouvement que les minéraux ? En d'autres termes, quels sont ceux qui ont le même genre de mouvement que celui d'une toupie d'enfant ? Une toupie tourne, tourne et tourne, elle bouge, et lorsqu'elle tourne impétueusement, les enfants se lèvent, tapent dans leurs mains et se réjouissent en disant : "Elle est stationnaire ! Elle est stationnaire ! Elle ne bouge pas ! C'est le mouvement centré sur lui-même. Elles ont un mouvement, un mouvement de révolution, mais le centre de la révolution se trouve dans le corps, et même lorsque le mouvement est très violent, il semble ne pas y avoir de mouvement du tout. Nous pouvons comparer le mouvement de la vie des minéraux au mouvement de la toupie, et le représenter sur le tableau noir par le cercle le plus petit, le cercle point.

Vous savez, tout mouvement dans ce monde se fait en cercles, il n'y a pas de mouvement en ligne droite; toute science le prouve. Pour cette raison, nous utiliserons des cercles pour représenter la manifestation du mouvement. En mathématiques, le mouvement se représente par des lignes; dans le cas présent des lignes circulaires serviront mieux le propos.

Nous avons ainsi une vie minérale qui connaît un mouvement comparable à celui d'une toupie. La meilleure représentation que l'on puisse en faire dans le dessin qui se trouve devant vous est le cercle le plus petit, que l'on peut appeler un point. Quels sont ceux parmi les hommes dont le mouvement est semblable au mouvement d'une toupie, dont le cercle ou l'orbite des mouvements n'est qu'un point, dont la vie est celle des minéraux ? Réfléchissez seulement. Ce sont évidemment les hommes dont toutes les actions sont centrées autour d'un petit point, d'un faux soi, la petite quarantaine d'un corps, de trois cubes et demi. Ils sont égoïstes dans le sens le plus vil du terme. Ce sont des gens dont toutes les actions sont dirigées vers la jouissance sensorielle. Ces gens travaillent dans différentes voies, ils font toutes sortes de travail, mais l'objectif est iniquement la recherche des plaisirs discutables. Ce sont des gens qui ne se soucient pas que leur femme et leurs enfants manquent de nourriture; ils ne se soucient pas de savoir si leurs voisins meurent ou vivent; ils doivent boire à tout prix, ils doivent s'amuser, ils doivent obéir aux ordres de la nature inférieure. Ils doivent satisfaire leurs besoins démoralisants,, même au sacrifice des intérêts de leur famille et de leur communauté. Que la femme et les enfants meurent de faim, ils s'en fichent, pourvu que leurs appétits charnels soient satisfaits. Le centre de tous leurs mouvements, le centre autour duquel ils tournent, le soleil autour duquel ils révolutionnent, le centre de leur orbite est simplement le petit corps. Leur activité ou leur mouvement est un mouvement mort. C'est la vie minérale en l'homme. Nous avons eu dans l'histoire du monde des minéraux très beaux et précieux sous forme humaine. Vous savez, les diamants appartiennent aussi au monde minéral; les rubis, les perles, les joyaux et toutes sortes de pierres précieuses appartiennent aussi au même monde..

Il fut un temps dans l'histoire de Rome où nous avons eu Néron, Tibère et autres Césars, pour mentionner ceux dont les noms contaminent nos oreilles. Nous avons eu de puissants gouvernants, empereurs, des minéraux très précieux mais seulement des minéraux, pas des hommes. Que penseriez-vous de ces empereurs, empereurs de tout le monde qui leur était connu, et ne prêtaient pourtant pas la moindre attention aux intérêts de leur état, qui n'avaient aucune pensée pour leurs parents et leurs amis mais qui devaient satisfaire leurs passions animales, peu importe ce qui arrivait à leurs reines, à leurs sujets et à leurs amis. Vous avez entendu parler d'eux, des crimes qu'ils ont commis. L'un d'eux fut victime de sa passion qui consistait à manger des choses délicieuses toute la journée. Quand il prenait un repas délicieux, il mangeait et mangeait jusqu'à ce que la nature se rebellât. A l'aide de médicaments il vomissait tout puis, l'estomac soulagé, il retournait à table. Ce processus se répétait maintes et maintes fois au cours d'une seule journée. L'un d'eux mit le feu à la capitale du monde pour satisfaire son désir de voir un grand incendie. Que pensez-vous d'eux ? C'étaient des bijoux précieux, des diamants, sans aucun doute, mais non des hommes. C'étaient des minéraux dans le monde humain.

Nous en venons maintenant à l'état de végétaux sous forme humaine. Leur cercle est plus large que le petit cercle grossièrement égoïste de l'homme minéral. Leur cercle est plus large et ces personnes sont beaucoup plus élevées que l'homme minéral. Leur activité peut être comparée au mouvement d'une course de chevaux. La course de chevaux décrit un cercle plus large que ne le fait une toupie. Leur cercle est représenté dans le dessin par le second cercle qui a B pour centre. Quelles sont ces personnes ? Ce sont des personnes qui n'exercent pas seulement leur travail pour satisfaire le goût de la chair au dépend de l'intérêt de tous les autres. Elles prennent aussi en considération le bien de quelques autres compagnons. Ce sont des personnes qui tournent autour de leur femme et de leur enfants, du cercle familial. Elless sont de loin supérieures aux hommes minéraux égoïstes, parce que ces gens font progresser non seulement le bien-être de leur propre corps, mais aussi la cause de leur femme et de leurs enfants. Le deuxième cercle contient de nombreux cercles plus petits, ces gens font ainsi progresser le bien de beaucoup de petits sois à côté de leur propre petit soi, mais doit-on dire qu'ils sont généreux ? Non, non; dans le cas de ces personnes le soi ne se dilate qu'un peu. Dans le cas des hommes minéraux, le soi était limité à ce petit corps; dans le cas de ces personnes, le soi est pratiquement identifié à la vie du ménage, leur femme et leurs enfants. C'est aussi de l'égoïsme mais de l'égoïsme quelque peu affiné. Ce sont aussi bonnes qu'elles peuvent l'être, mais regardez simplement ce deuxième cercle qui les représente. Il est concave envers tout ce qui se trouve à l'intérieur. Qu'est-ce que la concavité ? La concavité à se replier et à se serrer dans les bras de l'amour. Formons un cercle en allongeant nos bras. Ce cercle est concave pour les membres de la famille, il est tourné vers tous les points qu'il embrasse, mais il tourne le dos à l'univers entier qui se trouve à l'extérieur de lui.

Ces aussi bonnes qu'elles peuvent l'être, aussi loin que leur concavité ou leurs bras étendus peuvent aller; mais elles tournent le dos à tout l'univers. L'égoïsme de ces gens qui se meuvent dans le deuxième cercle des hommes végétaux devient évident lorsque les intérêts d'une famille entrent en conflit avec ceux d'une autre famille, il y a alors lutte et discorde, forgées par eux, entre tous les membres d'une famille et tous les membres de l'autre famille.

Nous en venons ensuite au troisième cercle. Ce sont les hommes animaux, des animaux sous forme humaine. Ce troisième cercle, représenté dans le dessin avec C comme centre, est plus large que les deux précédents. On peut le comparer au cercle décrit par les moussons ou les alizés. Il représentent les gens qui ont identifié leur soi avec quelque chose de plus élevé que ce petit corps ou que le cercle familial. Ces gens identifient leur soi à leur classe, à leur secte ou à leur état. Ils sont sectaires, ce sont des gens qui identifient leur soi à une caste ou à une profession. Ils sont très bons, en vérité très utiles, bien plus utiles que ne le sont les hommes végétaux. Leur centre se trouve au-delà du petit corps. Il est d'une étendue bien plus haute, bien plus large que le centre de l'homme végétal. Le rayon de révolution est plus long dans leur cas. Bénis sont ces gens. Vous voyez leur utilité s'étendre à de nombreuses familles et à de nombreux individus. Ils sont utiles aux gens qu'ils embrassent dans les bras de l'amour. Ils sont utiles aux gens pour lesquels leur attitude est celle de la concavité. Ces personnes font avancer le bien non seulement de leur petit corps, non seulement d'une maison ou d'une famille, mais elles font avancer le bien de la classe ou de la secte entière à laquelle elles ont identifié leur soi; ils sont très utiles. Sont-elles aussi égoïstes ? Pourquoi, oui; elles sont aussi égoïstes. Elles cherchent à faire bénéficier leur propre soi qui est identifié à leur secte au détriment des autres sectes ou des autres castes. Si vous voulez voir leurs défauts, il suffit de noter leur attitude envers tous les points qui se trouvent en dehors de leur cercle. Elles tournent le dos à tout ce qui est à l'extérieur. Lorsqu'elles cristallisent et stéréotypent leur sectarisme, malheur à ceux qui n'acceptent pas leur version de la vérité. Voici une classe, et en voilà une autre, un autre cercle du même genre. Tournés l'un contre l'autre, tous les individus qui appartiennent à la première classe sont en guerre et à couteaux tirés avec tous les individus représentés par la seconde classe. Voyez, s'ils font du bien à certains, ils font autant de mal, sinon plus, en déclarant la guerre à toutes les autres communautés et sectes rivales. Une secte entière se querellant et combattant avec une autre secte entière de l'autre côté. Ces gens sont pourtant de loin préférables à ceux qui ne sont que des hommes végétaux.

La loi de la Nature est que vous ne devez pas rester immobile dans n'importe quelle position; vous devez continuer; marcher et marcher encore. Ne soyez pas en proie à l'inertie ni opposé au changement et au progrès. Lorsque les gens sont dans l'état de l'homme minéral, l'état supérieur suivant sera celui de l'homme végétal et pour lceux qui se trouvent dans le domaine végétal, pour ainsi dire, l'état supérieur suivant sera celui de l'homme animal. Si une personne, en avançant et en progressant, passe par l'état de l'homme animal, c'est bien et bon. Il n'y a rien de nocif ou de préjudiciable pour un homme de passer par l'état du domaine animal; c'est bien. Les choses tournent mal, tout devient confus et tout est cause de mal lorsque nous voulons rester tranquilles, nous arrêter quelque part et refuser de progresser plus avant en vendant notre liberté à ce dogme ou à cette croyance-ci ou à celle-là. Il est naturel pour tout le monde de passer par cet état à un moment ou à un autre, mais il devient mauvais de s'y enfoncer et d'essayer de l'éterniser. Cela devient mauvais et cela devient une cause de mal lorsque l'on devient esclave de ce nom particulier et que l'on donne de la rigidité à sa position. Lorsque les villes de Sodome et Gomorre ont été détruites, l'épouse de Lot s'est retournée. Elle quittait la ville mais elle s'est retournée. Elle voulait rester dans la ville; son coeur y était et elle voulait y retourner. Et là, sur le champ, elle a été changée en pilier de sel. Il en est exactement de même avec les gens qui continuent de progresser vers le haut et qui continuent de s'éloigner de leur position précédente, qui ne refusent pas d'avancer, cela est bon et bien pour eux; mais au moment même où ils veulent retourner et refusent de progresser, qu'ils se vendent à des noms et à des formes, ils se changent en piliers de sel. La stagnation ou le fanatisme s'introduisent. La stagnation et le fanatisme deviennent cause de misère. Ils sont peut être des hommes bons, des hommes animaux, mais ils doivent progresser, ils doivent continuer.

Nous en venons maintenant au quatrième cercle, le cercle représenté sur le tableau avec le centre D. Voici l'homme en l'homme. C'est un homme normal. On peut comparer son cercle au cercle de la lune. La lune décrit un cercle autour de la terre, il est plus elliptique que circulaire. L'homme lune, quel est-il ? Il décrit une orbite très large; peut-être est-il heureux ? C'est un homme qui identifie son soi à la nation entière ou à toute la race; vous pouvez l'appeler patriote. Son cercle est très large. Il ne fait pas attention de savoir si ceux pour lesquels il travaille appartiennent à telle ou telle croyance, il ne tient pas compte du nom, de la caste, de la couleur ou de la croyance, il en fait un point essentiel pour faire avancer la cause de tous ceux qui vivent dans le même pays que lui. Il est très agréable, il est très bon, c'est un homme, mais c'est tout. Vous voyez, la lune cause aussi des révolutions dans la mer, elle produit les marées, des marées descendantes et des marées montantes. Vous savez par ailleurs que l'on dit que les lunatiques sont 'pris par la lune'. C'est un bon cercle, sans doute, que le cercle de la lune, mais regardez seulement lorsque les hommes-lune stérétotypent leur position, quand ces gens deviennent égoïstes et que leur égoïsme se cristallise, l'égoïsme dans leur cas signifiant patriotisme quand on lui donne de la rigidité, quand il se cristallise, quels en sont les résultats ? Cela amène des révolutions et de la folie. Cela dresse une nation contre l'autre, et nous avons alors effusion de sang et guerre, des milliers, non, quelquefois des millions et des millions d'êtres qui se perdent, qui tombent, qui boivent le sang et qui font rougir la face féerique de cette magnifique terre par le meurtre et la font devenir rouge de sang. Ils sont très bons pour ceux qu'ils embrassent, pour ceux qui sont concaves, mais notez seulement leur attitude envers ceux contre lesquels ils sont convexes. Washington est très bien pour les Américains, mais demandez l'avis des anglais à son sujet. Les patriotes anglais sont très bien pour autant que ce qu'ils appellent leur propre pays est concerné, mais regardez les seulement en vous référant à ces peuples dont le sang a été sucé par leur patriotisme.

Nous en venons enfin au cinquième cercle. Là le centre se déplace à l'infini, disons : le rayon devient infini, et que dire du cercle ? Lorsque le rayon se déplace à l'infini, le cercle doit devenir une ligne droite; toute distorsion disparaît. La ligne droite passe de manière égale, complète, à travers tout l'espace; elle n'est concave pour personne, elle n'est convexe pour personne. Le cercle devient une ligne rectiligne, il devient une ligne droite. Toute distorsion s'en est allée; toute courbure s'est évanouie. Ce sont des hommes Dieu; on peut comparer leur cercle au cercle que décrit le soleil. Vous savez que le soleil se déplace en ligne droite; le rayon du cercle est infini. Le soleil est toute gloire. C'est ici un cercle dont le centre est partout mais la circonférence nulle part. C'est le cercle de Dieu; ceux-là sont des hommes libres; ils sont libres, libres de toute peine, libres de toute crainte; libres de tous désirs corporels, libres de tout égoïsme. Sont-ils égoïstes ? Non, jusque là nous avions l'égoïsme. N'avons-nous aucun égoïsme dans cette ligne droite ? La ligne droite est une ligne droite : on ne peut voir de point d'asservissement nulle part. Elle passe à travers l'espace, aucun petit centre égoïste qui puisse tourner, rien pour tourner autour. Ici l'égoïsme est détruit ou, pourriez-vous dire, ici on obtient le Soi véritable. Vous voyez, nous avons commencé avec le petit cercle, l'égoïsme grossier, et ici ce petit point s'est élargi, s'est accru et s'est élargi jusqu'à ce qu'il devienne une ligne droite. Ce sont des hommes de Dieu. Ces sont des gens pour lesquels le vaste monde est leur demeure, quelles que soient la caste, la couleur, la croyance, la communauté ou le pays. Que vous soyez anglais, que vous soyez américain, que vous soyez musulman, bouddhiste ou hindou ou quoi que ce soit, vous êtes le Soi de Rama. Vous êtes pour lui le Soi du Soi. Ici l'égoïsme s'est merveilleusement élargi, c'est ici un genre étrange d'égoïsme. Le vaste monde est mon Soi : l'univers est le Soi de cet homme : le vaste monde, la créature la plus vile, les minéraux, les végétaux, le Soi de tous ceux-là devient le Soi de cet homme.

Pour un homme qui avait atteint cet état de liberté parfaite, arrivait un disciple qui s'asseyait à ses pieds pendant environ une année. Lorsque le disciple était sur le point de quitter le maître, il commençait à s'incliner à ses pieds, à s'agenouiller devant lui, à se prosterner devant lui, comme c'est la coutume en Inde. Le maître, souriant, le relevait et lui disait : "Mon cher, tu n'as pas encore appris tout ce que tu pourrais apprendre. Il te manque encore beaucoup de choses; reste encore un peu." Il demeurait quelques jours de plus en la sainte présence du maître et obtenait de plus en plus d'inspiration. Son coeur était transformé en conscience de Dieu. Il était rempli du Saint Esprit. Il quittait la présence du maître, ne sachant pas s'il était le disciple ou le maître lui-même. Il partait, voyant l'univers entier, le vaste monde, comme son Soi véritable, et l'univers entier étant son Soi réel, où pouvait-il alors aller, lui, le Soi ? Quand le Soi remplit et pénètre chaque atome, chaque molécule, où peut-il aller ? L'idée d'aller et venir devient pour lui sans aucune signification. Vous pouvez aller d'un endroit à un autre si vous n'êtes pas déjà à l'endroit où vous voulez vous rendre. Là il se trouvait lui-même, il trouvait son Soi réel, le Dieu au-dedans, Dieu partout, comment aurait-il pu penser à aller et à venir ? Il était dans l'état de réalisation du Soi. La marche du corps était une espèce d'action réflexe. Il était en lui-même; pas d'aller et venir pour lui. Alors le maître était satisfait. Le maître l'avait ainsi testé et avait prouvé qu'il était de grande valeur. Le disciple ne présentait ni ses respects ni ses remerciements au maître et il demeurait en unité à un tel degré qu'il s'élevait au-delà de l'idée de gratitude. Le maître savait alors qu'il avait réellement compris ses enseignements. C'est l'état de maître, où lorsque vous honorez l'homme, il dit que vous le rabaissez. "Je ne suis pas confiné dans ce corps; je ne suis pas que ce petit corps : je suis le vaste monde, je suis vous, et honorez moi en vous." C'est l'état de l'homme pour qui honneur et déshonneur pour le corps sont devenus dénués de sens, pour qui honte et renommée ne sont rien.

Un homme, un prince, se rendit près d'un moine en Inde, et il se prosterna devant lui. Le moine lui demanda quelle était la cause de l'hommage que le prince lui rendait. Le prince dit : "Monsieur, saint homme, vous êtes un moine et vous avez adopté cet ordre en abandonnant votre royaume qu'un jour vous avez gouverné. Vous êtes un homme de grande renonciation, aussi je vous regarde comme Dieu, je vous adore." Vous savez, en Inde, les gens ne sont pas tellement honorés à cause des richesses qu'ils possèdent. En Inde, on les honore à cause du degré de renonciation qu'ils manifestent, et le principe premier de l'honneur est essentiellement différent là-bas de ce qu'il est ici. Il y a plus de confiance placée en Dieu que dans le tout-puissant dollar. Le prince rendait hommage à l'homme de renonciation. Le moine répondit au prince : "Si c'est la raison pour laquelle vous m'honorez, je dois laver vos pieds, je dois m'agenouiller devant vous car, ô roi, vous êtes un homme de plus grande renonciation que tous les moines de ce monde réunis." C'est très étrange. Comment est-ce possible ? Le moine commença alors à expliquer : "Supposez, voici un homme qui possède un palais magnifique, et cet homme rejette la poussière et la saleté de la maison; il jette au dehors ou ne renonce qu'à la poussière ou à la saleté de la maison. Cet homme est-il un homme de renonciation ?" Le prince dit : "Non, non, çà n'en est pas un." Alors le moine continua : "Voici un homme qui garde soigneusement la saleté et la poussière de la maison et qui donne la maison entière, le magnifique palais. Que pensez-vous de cet homme ?" Le prince dit : "Cet homme qui ne garde que la saleté et la poussière et renonce au palais est un homme de renonciation." Le moine dit alors : "Frère prince, vous êtes alors homme de renonciation, car le Soi réel, Dieu, l'Atman véritable, qui est le magnifique palais, la demeure vraie, le paradis, le Ciel des cieux, vous y avez renoncé, et vous n'avez conservé que la poussière et la saleté du palais, qui est ce corps, ce petit égoïsme. Je n'ai renoncé à rien. Je suis moi-même le Dieu des dieux : le Seigneur de l'Univers."

Parfois ces gens, ces personnes qui ont atteint l'état le plus élevé d'avancement, les âmes libres, sont méprisées par certains et on dit qu'elles sont folles; mais demandez leur si elles voudraient, ne serait-ce qu'un instant, échanger leur béatitude divine, le bonheur suprême qu'elles retirent de l'ivresse divine, contre toute la fortune et les richesses de ce monde. Pas du tout, pas du tout. Ces gens méprisent et s'apitoient sur l'esprit mendiant du soi-disant riche qui va mendier à la porte de la chair, à la porte des plaisirs charnels. Le plaisir est en vous. C'est là que vous pouvez l'obtenir. Tout le trésor est en vous. Alors pourquoi jouer le rôle du mendiant et circuler dans une condition misérable, dans un triste état, et se comporter comme un atome pitoyable ? Venez, réalisez votre Soi véritable, le Dieu Tout-puissant, et que cette chanson jaillisse de vous en plénitude de joie :

"Je suis l'atome de poussière dans l'arc en ciel, et Je suis le soleil brûlant,
Repose-toi ici !" chuchoté-je à l'atome, j'appelle le globe : "Roule !"
Je suis la rougeur du matin, et je suis la brise du soir;
Je suis le petit murmure et la feuille, la houle des mers terribles.
Le plaidoyer passionné de l'amant, les craintes murmurées de la jeune fille;
Le guerrier, la lame qui le frappe, la crainte arrachée au coeur de sa mère.
La rose, son poète rossignol, les chants qui s'élèvent de sa gorge,
Le silex, les étincelles, la bougie, le papillon de nuit qui vole autour.
Je suis l'ivresse, les raisins, le pressoir et le moût et le vin,
L'invité, l'hôte, le voyageur, la coupe de cristal fin."

Oh ! La splendeur et la gloire de votre Soi rend ridicule la pompe des empereurs.
Vous êtes ce Ciel si merveilleux, vous êtes Existence, Connaissance et Béatitude.

Om ! Om ! Om !