Le Vedanta
et l'avenir de l'Humanité

Swami Ranganathananda
(Président International de la Ramakrishna Mission)
(Traduction : Gaura Krishna)

 

La Grande Philosophie du Vedanta, que l'Inde a développée depuis des âges, et qui a continué de rétablir son authenticité jusqu'à nos jours par une succession de saints, de sages et de penseurs, est d'une importance énorme pour l'humanité. Cà n'est pas un mystère magique bon marché. C'est un message pur d'évolution humaine, de développement et de réalisation, c'est une philosophie rationnelle de tout ce que l'homme peut embrasser, de l'évolution humaine. Il en existe une science, il en existe une technique, et notre pays a produit dans le passé deux grands livres qui continnent cette science et cette technique, à savoir les UPANISHADS et la BHAGAVAD GITA, à côté d'innombrables autres livres. Et, à l'époque actuelle, notre pays a produit des personnalités extraordinaires : Swami Vivekananda, Ma Sarada Devi, ...

... Les dimensions purement spirituelles et philosophiques du Vedanta ne sont connues que de peu de gens dans notre pays. Le résultat en est que, lorsque nos congénères qui vivent à l'étranger rencontrent les défis des temps modernes dans ces pays très développés (problème de préservation des valeurs de leur héritge culturel et d'obtention de la force et du calme intérieurs) et lorsqu'ils ont l'opportunité d'entendre le pur message spirituel et philosophique du Vedanta non souillé par la magie et la superstition, ils ressentent aussi son impact de manière immédiate et prennent conscience de ses formidables implications pour les hommes et les femmes, partout à cette époque moderne.

Tout ceci est naturel et est un simple retour vers ses racines spirituelles, avec respect envers notre peuple, que ce soit en Inde ou à l'étranger. Mais dans le cas des occidentaux, le sujet est totalement nouveau et la réponse est là aussi formidable, consciente et immédiate. Beaucoup d'entre eux n'ont auparavant entendu parler d'aucune de ces choses, la religion qu'on leur a enseignée n'a pas permis de recherche ni de questionnement rationnels; elle soulignait la dépravation innée de l'homme au travers du péché originel, avec son sens de culpabilité, et le salut comme acquisition post-mortem. L'esprit moderne s'est révolté contre toutes ces notions, et pourtant la faim spirituelle de l'homme moderne demeure, elle demeure insatisfaite et elle augmente âprement avec les années, sans aucun guide à la vie humaine et alors : où se tourner pour se nourrir spirituellement ? Alors, par chance, ils ont écouté les Upanishads et expérimenté avec joie et satisfaction les paroles et les pensées de cette littérature profonde éclater sur eux comme des bombes !

... Brahmavid ¡pnoti param : tades¡bhyukt¡, satyam jµanam, anantam brahma,
yo veda nihitam guhayam parame vyoman, so¿nute sarv¡n k¡m¡n saha brahman¡ Vipasciteti...
yato v¡co nivartante, apr¡pya manas¡ saha; ¡nandam brahmano vidv¡n na bibheti kad¡cana
(TAITTIRIYA UPANISHAD)

"Le connaisseur du Brahman atteint le Suprême, il y a à ce sujet cette grande parole; Brahman est Vérité, Pure Conscience et Infinité. Quiconque connaît cette vérité, cachée dans la cavité de son propre coeur, dans sa dimension infinie suprême, expérimente tous les désirs avec la sagesse de Brahman ... "

"Cela (en face) duquel la parole et la pensée reculent, en connaissant ou en expérimentant cette béatitude de Brahman, on ne connaît jamais la peur".

La Vérité est de la nature de la pure Conscience qui est infinie en dimension, dit le verset; et cette vérité n'est pas quelque chose de lointain, haut dans le ciel ou à l'extérieur du cosmos, mais elle est proche de vous, elle est quelque chose toujours présent dans les profondeurs silencieuses de votre propre âme. Lorsque vous réalisez cette vérité, quelque chose de grand vous arrive; vous devenez béni et sans peur. Dieu n'est pas présenté dans le Vedanta comme un être assis dans le lointain, en dehors du cosmos, comme un magistrat devant lequel l'homme doit se tenir avec crainte et respect. Il est votre propre Soi infini, le plus cher de ce qui est cher - tat etat preyah, sarvasm¡t asmat priyatarah - le plus proche de ce qui est proche - tad iha antike ca - comme le décrit une autre Upanishad. Dans de nombreux passages les Upanishads attirent l'attention de l'homme sur la vérité de ce profond mystère qui se cache en lui ou en elle; et elles soulignent le fait que cette vérité doit être réalisée; c'est la voie de l'évolution, du développement et de la réalisation de l'homme. C'est un message profond adressé à tous les hommes, à toutes les femmes et à tous les enfants, partout; et la réponse fut naturellement intantanée et formidable.

Parmi les nombreux enseignements qu'expose la Brhadaranyaka Upanishad, le plus important est la vérité de la liberté, de la dignité, de la pureté et de la gloire intérieures de l'homme en tant qu'Atman, exprimée en de nombreux passages lumineux par des sages illuminés, à la fois hommes et femmes. Vivekananda a dit : "Laissez rugir le lion du Vedanta, et les renards de la peur et de la haine rentreront vite dans leurs tanières !" C'est ce rugissement de lion que nous trouvons dans cette Upanishad. Dans ce rugissement, ou garjan, du Vedanta Kesari, ou lion du Vedanta, cette Upanishad parle de l'homme, lorsqu'il ne connaît pas cette vérité de sa véritable nature, demeurant et se comportant comme "troupeau des dieux" - pasurevam sa devanam (1.4.10) :

Brahma v¡ idam agra ¡sit; tat ¡tmanameva avet, aham brahm¡smi iti.
Tasm¡t tat sarvam abhvat. Tat yo dev¡nam pratyabudhyata, sa eva tat abhavat;
tath¡ rsin¡m; tatha manuÀy¡n¡m. Tat ha etat pasyan rÀivamadevah pratipade;
aham manurabhavam, suryasceti.

Tadidam apyetarthi, ya evam veda, aham brahmasmi iti, sa idam sarvam bhavati;
tasya ha na devasca na abbuty¡ ¢sate; atma hyes¡m sa bhavati.
Atha yo anyam devatam upaste, anyo asau, anyo aham asmi iti, na sa veda;
yatha pasuurevam sa devanam.

Yath¡ ha vai bahavah pasavo manusyam bhur¢jyuh, evam ekaikah puru so devan bhunakti,
ekasmin eva pa¿au adiyamane apriyam bhavati, kimu bahusu.

Tasmat es¡m tat na priyam, yat etat manusya vidyuh -

"Cet univers était en vérité Brahman au commencement. Il ne connaissaît que Lui-même comme "Je suis Brahman". C'est pourquoi Il devint tout. Et quiconque parmi les dieux Le conaît devient aussi Cela; et la même chose pour les sages, et la même choses pour les hommes. Le sage Vamadeva, réalisant ce (Soi) comme ce (Brahman) savait :"Je fus Manu et le Soleil."

"Et à ce jour quiconque, de la même manière, Le connaît comme "Je suis Brahman" devient tout ceci (devient un avec tout cet univers). Même les dieux ne peuvent prévaloir contre lui, car il devient leur soi lui-même."

"Tandis que celui qui adore un autre dieu, en pensant : 'Il est un être et j'en suis un autre', ne sait pas;
il est comme du bétail pour les dieux."

"De la même manière qu'un troupeau nombreux sert l'homme, de même chaque homme sert les dieux. Si même un animal est cause d'angoisse lorsqu'il est enlevé, que doit-on dire alors s'il y en a beaucoup ?"

"C'est pourquoi ce n'est pas du goût (des dieux) que les hommes connaissent cela (la vérité de l'Atman)".

Un troupeau de moutons est la propriété du berger, et de même aussi les hommes et les femmes qui vivent à un niveau organique sont-ils la propriété des pouvoirs invisibles de la nature, ce sont des créatures, ils sont impuissants. "Mais pourquoi restez-vous ainsi ?" demande l'Upanishad à toutes ces personnes, et elle répond : "Parce que vous ne réalisez pas votre véritable Soi, qui est la source de toute force et de tout courage et le véritable centre de votre liberté et de votre dignité; même une fraction de cette connaissance vous rendra libre et sans peur." Ainsi l'Upanishad nous exhorte à ne pas demeurer comme du simple bétail des dieux, pasu (bétail),des devas (dieux) - c'est le langage utilisé - cela dénote le statut de 'créature' et d'impuissance. Vous devez surpasser cette 'créaturité', un peu par la connaissance du monde extérieur qui est la science physique, mais de manière complète seulement par la science de la spiritualité, adhyatma vidya, dit le Vedanta.

 

II

En ce qui concerne la vérité de l'Atman et la capacité de l'homme à Le réaliser, il n'y a aucune différence entre les géants comme Vamadeva et les mauviettes humaines actuelles ! Quelle audacieuse proclamation de la gloire de l'homme que celle-ci, faite par le Vedanta, selon laquelle cette réalisation est le droit de naissance de tout être humain. La nature a donné à l'homme la capacité organique de chercher et de réaliser cette vérité; nous ne devons compter que sur elle. Mais nous la négligeons en tout premier lieu, nous l'ignorons. Cela doit être évité, dit l'Upanishad.

Ce passage entier de l'Upanishad fait aussi une étroite référence aux relations interhumaines, comme entre maître et serviteur, riches aristocrates et locataires impuissants et ignorants, capitalistes puissants et travailleurs exploités. Les uns n'aiment pas l'arrivée des autres dans le domaine de l'éducation et des opportunités économiques et ils les contrecarrent à chaque occasion, comme l'opposition Tory au Parlement Britannique au dix-neuvième siècle contre l'introduction de l'éducation primaire pour tous, avec la remarque : "Si les masses sont éduquées, qui nous servira ?" Mais avec l'éveil de la connaissance et de la foi en soi-même, et avec le sens de l'égalité venant de la prise de conscience de la citoyenneté démocratique, les masses perdent leur 'créatur-ité', leur impuissance, leur dépendance et leur crainte, et elles prennent conscience de la dignité et de la stature de leur 'human-ité' et 'fémin-ité' inhérentes, de leur humanité inaliénable, et de leur liberté ...

Comme nous savons peu sur l'homme, sur nous-mêmes ! Nous en savons plutôt beaucoup sur le corps humain et son système sensoriel, et un peu sur le mental aussi, principalement comme extension du système sensoriel. Combien de possibilités demeurent cachées en chacun de nous ! Il existe une science des possibilités humaines. Le Vedanta a développé sa philosophie non seulement en tant que science du cosmos, mais aussi en tant que science de l'homme, en tant que science des possibilités humaines, et il a synthétisé les deux en une vision unitaire. Lorsque vous dites que vous ne pouvez pas faire ou réussir quelque chose, vous dites quelque chose sans connaître les immenses possibilités qui sont en vous. C'est pourquoi Vivekananda disait qu'alors que les religions ethniques monothéistes définissent un athée comme quelqu'un qui ne croit pas à l'existence d'un dieu extracosmique assis loin dans le ciel, le Vedanta définit un athée comme quelqu'un qui ne croit pas en lui-même. La première définition sonne creux parce que beaucoup ont nié ce dieu et en s'en sont facilement éloignés, si ce n'est du fait des persécutions d'églises et autres organisations militantes et intolérantes qui soutiennent ce dieu. Partout dans le monde hommes et femmes ont installé des rois comme source de souveraineté, de pouvoir et de bienfaisance, extérieurs à eux, ils se sont tenus devant eux avec crainte, en tremblant, ils leur ont obéi comme des sujets loyaux et leur ont payé en tribut leur fortune difficilement gagnée. Mais ils se sont aussi rebellés contre eux, ils les ont détrônés, et leur ont même quelquefois coupé la tête; et ils ont proclamé leur indépendance et leur souveraineté inaliénables en tant que citoyens libres d'un état libre lorsqu'ils furent inspirés par les philosophies républicaines et démocratiques. Les souverains vont et viennent, mais la souveraineté demeure. Beaucoup de dieux sont morts, mais longue vie à Dieu ! qui est le Soi de tous et dans toute la nature, et dont la Katha Upanishad (5.12-13) chante la vérité et la gloire :

Eko va¿i sarvabh£t¡ntar¡tm¡ ekam r£pam bahudh¡ yah karoti;
Tam¡tmasth¡m ye' nupa¿yanti dh¢rah tes¡m sukham ¿¡¿vatam netare¿am

"Le seul contrôleur et régulateur, le Soi intérieur de tous les êtres qui, bien qu'unique, assume diverses formes; ces sages qui Le réalisent comme toujours établi dans notre propre coeur, à eux appartient le bonheur éternel, et à nul autre."

Nityo' nity¡n¡m cetenah cetananam eko bah£n¡m yo vidadh¡ti k¡m¡n,
Tamatmasham ye' nupasyanti dh¢rah tes¡m ¿¡ntih ¿¡svat¢ netaresam -

"L'Eternel parmi les non-éternels, la Vie unique dans tout ce qui vit qui, bien qu'unique, comble les désirs de plusieurs; les sages qui Le réalisent comme toujours établi dans notre propre coeur, à eux appartient la paix éternelle, et à nul autre."

Ainsi ces dieux, considérés comme extérieurs à l'homme, anyo'sau anyoham, comme exprimé dans le passage de la Brhadaranyaka Upanishad cité plus haut, ont été placés sur le trône et détrônés à maintes reprises. Mais le Soi infini de l'homme, la pure vérité qui brille en lui, ne dépend pas de l'affirmation ou de la négation de qui que ce soit, elle ne peut être affectée par la mise sur le trône ou le fait de détrôner qui que ce soit. Il est infini et non duel, et Il est votre véritable nature. Ce grand enseignement des Upanishads, particulièrement de la Chandogya et de la Brhadaranyaka, se tient comme le soleil étincelant de la Vérité qui dissipe toute obscurité de l'ignorance, toute faiblesse, toute peur et toute haine. Lorsque l'on présente cet enseignement devant des gens fatigués de dogmes irrationnels et en quête de vérité, et qu'on le présente en termes rationnels que vous pouvez questionner, que vous pouvez discuter, dans lesquels vous pouvez enquêter, et que vous pouvez expérimenter et vivre - non comme quelque chose en quoi on doit juste croire - vous pouvez imaginer la formidable réponse de l'esprit et du coeur humain sensibles à la vérité et qui la recherchent.

 

III

Cette petite formule : Tat tvam asi, "Tu es Cela", de la Chandogya Upanishad, porte la vérité la plus profonde sur l'homme, reposant au niveau le plus profond de son être. Elle dit à l'homme : Tu n'es pas ce minuscule système organique, ce petit corps avec ses 75 ou 100 kgs de poids, il y a une profonde dimension divine en toi au-delà de tes dimensions physique, neurologique et psychique. Cette vérité doit être réalisée par l'homme, la vérité de Tat tvam asi. C'est une vérité et non une opinion; c'est le produit d'une vastu-tantra jµ¡n¡, et non d'une puruÀa-tantra jµ¡na, d'une connaissance basée sur le vastu, fait existant, et non d'une connaissance basée sur des humeurs et prédilections humaines changeantes, comme l'explique Shankaracharya dans son commentaire des Brahma-Sutras. C'est la force et la nature donneuse de force du Vedanta. Ce Vedanta est resté longtemps caché dans des livres, caché dans des forêts, des monastères, des cavernes et on le traita comme rahasya, c'est à dire secret ou mystère, seules des personnes choisies pouvaient y toucher. Tel a été son statut pendant tous ces milliers d'années. Puis vint le grand áankaracharya au huitième siècle après Christ; il ouvrit cet immense réservoir de connaissance et de force au travers de ses commentaires lumineux des principales Upanishads, dix ou douze, de telle sorte que les gens puissent les lire et en bénéficier. Même alors, seules peu de personnes prirent contact avec elles.

Mais aujourd'hui, dans ce monde moderne étonnant, cette formidable philosophie devient disponible pour les grandes masses d'êtres humains partout dans le monde. Et lorsque les gens viennent à la connaître, ils expérimentent la gloire intérieure, la dignité, la valeur et la force de l'homme d'une manière jamais expérimentée auparavant; ils sont attirés par elle et se sentent incités à expérimenter sa vérité dans le laboratoire de leur vie. Il sentent que cela vaut la peine d'essayer de connaître quelles sont les énergies cachées en eux, non seulement les énergies musculaires, non seulement les énergies intellectuelles, mais ce qui est encore plus profond. Lorsque je dis "Je ne peux pas" dans une situation donnée, je dépends pour ce jugement de mon corps minuscule et de mon piètre mental. Si seulement je savais qu'il existe une source d'énergie plus profonde et plus vaste cachée en moi, je ne dirais jamais "Je ne peux pas". Aussi est-ce ce que disait Swami Vivekananda, comme vu plus haut. "C'est de l'athéïsme, non de nier un dieu extracosmique, mais que de dire : 'je ne peux pas' et c'est véritable théïsme, non d'affirmer une pieuse croyance en un tel dieu, mais ce qui vous fait oser dire : 'je peux'."

Par des attitudes positives de la sorte, vous affirmez le Dieu toujours-présent en vous, et vous tirez de nouvelles énergies de cette source inépuisable, comme la particule quantum finie de la source du champ d'énergie quantum infinie en physique moderne. Le Vedanta chuchote la vérité de cette grande formule des Upanishads dans l'oreille et dans le mental : 'Tat tvam asi', de telle sorte que la vie entière devienne un épanouissement graduel des possibilités infinies cachées en chacun de nous. Où arrêtons-nous cette grande marche ? Nous pouvons stopper en tout point de ce voyage capital vers la vérité et l'accomplissement, mais seulement pour respirer, et non pour nous attarder et languir sur le chemin; toute stagnation doit être évitée, reposez-vous un moment si vous en avez besoin, respirez, et continuez de marcher encore, comme nous le faisons dans l'escalade en haute montagne. Par conséquent, la Katha Upanishad sonne l'appel au clairon de tout le Vedanta (3.14) : Uttisthata ! Jagrata ! Pr¡pya varan nibodhata" : "Levez-vous ! Réveillez-vous ! Et n'arrêtez pas avant d'atteindre le but." comme l'a librement traduit Vivekananda, le modèle des maîtres védantiques de l'âge moderne, ainsi que le louait son contemporain, le philosophe américain William Jones.

Le Vedanta présente la vie humaine comme une longue marche vers la vérité et l'accomplissement, une marche vers ce qu'il y a de plus élevé et de meilleur et qui est caché en nous tous. Traduite de manière littérale, la ligne ci-dessus signifie : "Levez-vous, réveillez-vous, et en vous approchant des grands sages, illuminez-vous." Cette vérité est votre droit de naissance; vous n'avez pas à l'emprunter ou à le mendier; vous n'avez qu'à le réaliser pour vous-mêmes, dans le contexte de la vie que vous vivez et du travail que vous faites, tout en gagnant votre vie, en vous occupant de votre famille, et au milieu de toutes les autres choses que vous faites dans la vie. Cela peut devenir un lieu extérieur approprié pour cette formidable marche intérieure de l'homme vers la vérité et l'accomplissement. C'est la véritable évolution humaine, dit le Vedanta.

L'individu humain est limité physiquement mais illimité spirituellement. Quelle magnifique conception ! Physiquement nous sommes tous limités; c'est bon d'être ainsi limités; nous n'appartenons pas aux espèces au corps gigantesque qui sont en évolution. Cette mesure limitée en hauteur, en poids et en taille, la nature l'a choisi pour son produit unique, l'homme, après tant d'expérimentations, des insectes minuscules jusqu'au dinosaures gigantesques. Mais à l'intérieur de ce système humain minuscule, la nature a caché beaucoup de mystères, beaucoup, beaucoup de trésors. Trésor est le mot. Mis à part les pouvoirs intellectuels qui ont fait entrer l'homme dans cet âge étonnant de l'espace, il y a le Soi infini caché en chacun de nous, dit le Vedanta. "La magnifique pierre précieuse de Rama, je l'ai obtenue au-dedans de moi', clame le chant dévotionnel populaire hindi. R¡m ratan maine p¡yo. Il y a de nombreux hymnes religieux et de chansons religieuses de la sorte, derrière lesquels se trouvent des vérités spirituelles profondes sur l'homme et sur Dieu.

 

IV

Nous sommes tous à la recherche de nombreuses choses en ce monde. A la naissance, bébés, nous avons recherché l'oxygène pour obtenir ce qui permet aux organes de commencer à fonctionner. Ce fut notre première recherche. Notre cerveau ne pourrait vivre ni fonctionner sainement si, dans les premières secondes de la naissance, il n'avait pas obtenu un peu d'oxygène, une telle privation aurait endommagé le cerveau de manière permanente. Notre recherche suivante fut la nourriture, liquide, puis solide, puis vint le jeu, la manipulation des choses autour de nous et le libre mouvement des membres pour gagner de la force et acquérir la connaissance de l'environnement extérieur. Puis vint une recherche capitale, la recherche de la connaissance, au travers de l'éducation, par laquelle chacun de nous s'est transformé en ce qu'en sanscrit on appelle de manière significative un vidyarti, un chercheur de vidya ou de connaissance. Puis vint la recherche d'un travail, et le fait de gagner de l'argent pour satisfaire nos besoins organiques, puis vint le mariage, le fait d'élever une famille et les plaisirs que cela procure, et la participation dans la vie sociale collective en tant que citoyen.

Nous allons ainsi en vivant notre vie. A un moment crucial au cours de toutes ces choses, notre recherche prend une nouvelle dimension : une recherche pour la connaissance d'une dimension plus haute. Nous continuons comme vidyarti, mais comme arti ou chercheur d'une vidya ou connaissance d'une dimension trans-sensuelle (au-delà des sens). Cette connaissance est appelée para-vidya, vidya supérieure tandis que la première est appelée apara vidya, connaissance ordinaire, par la Mundaka Upanishad qui définit para-vidya comme Yay¡ tadaksaramashigamyate : "par laquelle cette réalité qui est impérissable est réalisée." Alors, et alors seulement, lorsque nous atteignons à cette para-vidya, nous réalisons la formidable signification du cri de cette vérité védantique de tat tvam asi, dans ses différentes expressions de bhakti et jnana, à savoir que nous sommes les dévots d'un unique Dieu intérieur, que nous sommes enfants de l'immortalité, amtasya putr¡h, que nous sommes l'Atman éternellement libre.

A ce stade, nous n'avons pas encore complètement saisi cette vérité, mais nous sommes attirés par elle sans en avoir d'indication; et toutes les autres choses de la vie viennent se ranger derrière cette recherche fondamentale de la vérité profonde cachée en nous, qui nous séduit et à la lumière de laquelle toutes les autres choses de la vie et toutes nos actions, qui avaient commencé à devenir mystérieuses et vides de sens comme un 'conte raconté par un idiot' selon les mots de Shakespeare, prennent un sens nouveau et une signification nouvelle - yasmin trsargohyamrsa - comme l'exprime le Srimad Bhagavatam dans son majestueux vers d'introduction, tout comme les zéros obtiennent de la valeur et du sens lorsque le chiffre 1 est placé devant eux, ainsi que l'expriment magnifiquement Sri Goswami Tulsidas et Sri Ramakrishna.

La vie est un voyage d'accomplissement, dit le Vedanta. C'est un double voyage comme on l'a décrit plus haut dans ses aspects apara-vidya et para-vidya, le premier dans le monde extérieur et le second dans le monde intérieur, mais encore dans le contexte de ce voyage extérieur lui-même. Le second est un voyage uniquement au sens figuré car il n'est qu'une pénétration intérieure, en connaissance et en réalisation, vers le centre de son être, et non dans l'espace et le temps comme le voyage extérieur. Vue dans cet éclairage, toute la vie devient une grande aventure, exactement comme l'ascension des Himalayas dont la tension et l'effort sont plus que compensés par la majesté, la beauté et la joie que l'on vit.

Cette sorte d'enseignement sur la vie et la destinée humaines ne nous a jamais été donnée comme signification réelle de la religion au cours des quelques siècles passés. La religion nous a été présentée comme un paquet de "il faut faire" et "il ne faut pas faire" avec de nombreuses restrictions effrayantes et de tentations post-mortem séduisantes. L'idée que nous pouvons atteindre le haut, le plus haut et le supérieur dans cette vie-même n'a pas été soulignée; que nous pouvons atteindre la force mentale et morale, développer une prise de conscience éthique et un souci humain, parvenir à l'efficacité du travail et à l'efficacité du caractère, et expérimenter au maximum le piquant de la vie par une évolution et un épanouissement spirituels graduels, et tout cela dans cette vie même, par la compréhension et l'application de la philosophie du buddhi yoga de la Gita, n'a jamais même été pensé par la plupart des gens.

Mais aujourd'hui le Vedanta, tel que prêché par Swami Vivekananda, oriente nos esprits dans cette direction même. Dans cette vie même, dans ce monde même, nous pouvons réaliser ce qu'il y a de plus haut, c'est ce que disent les Upanishads, c'est ce que dit la Gita, et c'est ce que Bhagavan Buddha répète encore et encore. Dans cette vie même, parce que la vérité la plus haute est déjà en nous, nous n'avons qu'à la manifester. La totalité du Vedanta humain en tant que processus continu de manifestation - les pouvoirs innés du bébé se manifestant, se montrant, s'exprimant graduellement par la double éducation en apara vidya et en para vidya. Quel concept complet et magnifique, à la fois de vidya, connaissance, et de vidyarti, chercheur de connaissance, c'est à dire étudiant !

A la naissance l'organisme humain est très tendre, très faible et peu solide, une petite chaleur ou un petit froid extérieurs peuvent détruire le bébé nouveau-né. Mais doucement ses pouvoirs innés se manifestent. C'est d'abord la force musculaire, puis la force nerveuse, suivie par la force mentale; il obtient le pouvoir de marcher à quatre pattes, de s'asseoir, de marcher et finalement de courir et même de gagner les Jeux Olympiques, ou d'étudier, de faire de la recherche et de devenir un scientifique qui gagne le Prix Nobel. A chaque stade il obtient de nouvelles expériences de bonheur et d'accomplissement. Comme les pouvoirs de son mental se manifestent graduellement avec les pouvoirs de son corps, il fait l'expérience d'un bonheur et d'un accomplissement plus neufs et plus grands. Nous pouvons remarquer sa joie lorsqu'il apprend à prononcer la première lettre de l'alphabet. De cette manière nous regardons l'enfant manifester graduellement les possibilités énormes qui sont cachées en lui, devenant hommes d'Etat, scientifiques, artistes, serviteurs de l'humanité, sages, saints et même incarnations divines. Toutes ces possibilités étaient là dans le bébé et elles se sont manifestées, avec ses dimensions profanes et religieuses formant les phases antérieures et ultérieures d'un unique processus d'évolution, de développement et de manifestation humains.

 

VI

Il appartient à chaque individu de choisir d'évoluer ou de végéter, d'être créatif ou de stagner. De la même amière que parmi les alpinistes il y en a qui sont heureux d'atteindre le sommets de pics mineurs tandis que d'autres osent escalader les pics les plus élevés, et même certains, peu nombreux, le Mont Everest. Pour ceux qui osent, que ce soit en alpinisme ou dans l'aventure de la recherche de la vérité, tout sommet non escaladé est un défi. C'est la voie de l'esprit humain libre, frais et héroïque. Le Vedanta appelle tout être humain à aller de l'avant et non à stagner. Il y a de grands sommets d'évolution humaine à conquérir, et chacun de ces sommets ajoute aux ressources d'énergie fraîche, donne à votre vie des joies et des plaisirs plus grands et plus purs. La totalité du Vedanta est présentée aujourd'hui dans cet éclairage par Swami Vivekananda (1). D'ici des dizaines d'années, on se souviendra de lui avec gratitude comme de l'enseignant qui a porté la bénédiction du Vedanta au niveau des ouvriers d'usine, des paysans, des femmes au foyer et des petits enfants. La portée du Vedanta a ainsi été élargie à l'infini. Cette sorte d'enseignement nous donnera une perspective nouvelle, rafraîchissante et courageuse, banissant la peur d'être spirituel, détruisant l'allergie d'être religieux, faisant disparaître la honte de s'appartenir soi-même comme bhakta ou dévot de Dieu, une peur, une allergie et une honte si communes chez beaucoup de gens aujourd'hui, particulièrement chez les intellectuels. Il n'y aura plus une chose telle que l'athéisme après cela, car l'enseignement n'est pas sur un dieu assis dans le ciel ou sur un salut après la mort, mais sur des êtres humains qui manifestent la divinité qui est déjà en eux. Comme le dit la Katha Upanishad (3.12) :

Esa sarvesu bh£tesu g£dho ¡tm¡ na prak¡¿ate
Dr¿yate tvagryay¡ buddhy¡ s£ksmay¡ s£ksma dar¿ibhih.

"Cet Atman est présent en chaque être, mais étant caché il ne se manifeste pas. Mais il peut être réalisé
par la buddhi concentrée des gens subtils qui ont entraîné leur raison à percevoir les vérités subtiles."

Il est caché dans l'âme la plus profonde de l'homme, mais l'homme peut Le découvrir, Le manifester. Lorsque notre buddhi ou raison (2) devient aiguisée par un entraînement continuel dans le traitement des vérités de plus en plus subtiles, elle développe la capacité de réaliser la plus subtile de ces vérités, à savoir l'Atman, le champ d'énergie infini de cit ou pure Conscience derrière l'homme et l'univers. Et ceci est l'ascension du Mont Everest de l'Expérience. Et les enseignants du Vedanta disent à chacun de ces alpinistes 'god-speed to you', dans les termes de la Mundaka Unpanishad (2.2.6) :

Svasti vah p¡ray¡ tamasah parastat

'Que le bien t'accompagne dans ton effort
pour traverser jusqu'à l'autre rive de l'océan de l'obscurité.'

... Sri Ramakrishna a comparé cette vérité cachée de Dieu en nous tous au feu caché dans l'allumette. L'homme ignorant s'insurge contre cet enseignement en disant qu'il n'est capable de trouver aucun Dieu en lui ou en dehors de lui. C'est exactement ce que dira un enfant de la présence du feu dans une allumette. Dites à votre enfant d'apporter une boîte d'allumettes. Sortez une allumette et dites-lui qu'il y a du feu dedans. "Non, il n'y a pas de feu dans l'allumette" dira-t-il avec véhémence après l'avoir touchée et l'avoir trouvée froide. Vous direz : "Si, il y a du feu dans cette allumette." Exactement de la même manière, l'Upanishad dit avec assurance : "Il y a l'Atman en chacun, mais il est caché, non évident à nos sens". Vous pouvez dire avec assurance à votre enfant que le feu est présent en tout mais qu'il est particulièrement présent dans une allumette, parce que vous êtes certain que vous transmettez une vérité établie. Comme le feu caché dans une allumette, l'Atman est caché en nous tous.

De la même manière, la lumière et le feu de l'Atman éternellement présent en l'homme ne peuvent être allumés sans que certaines conditions ne soient remplies. Toutes ces conditions sont unifiées en une seule valeur simple de la science de la spiritualité, à savoir la pureté de coeur. "Heureux ceux qui sont purs de coeur, car ils verront Dieu" dit Jésus. La Mudaka Upanishad l'exprime en un vers splendide (3.15) :

Satyena labhyastapaÀ¡ hyeÀa ¡tm¡ samyagjµ¡nena brahmacharyena nityam;
Antahsarire jyotimayo hi subhro yam pa¿yanti yatayah kÀinadoÀah

"L'Atman est atteint par la recherche et la pratique constantes de la vérité, la maîtrise de soi, la connaissance correcte et le brahmacharya (contrôle de soi); les chercheurs spirituels purs et livres de tous maux
Le réalisent en vérité à l'intérieur de leur propre corps."

La vérité Védantique est particulièrement importante dans divers domaines de la gestion humaine, que ce soit à l'intérieur du cercle restreint de la famille ou dans le cercle plus large de l'administration, de l'industrie, des affaires ou des relations enseignant-étudiant. L'approche efficace des processus d'interaction dans ces diverses situations humaines résultent, comme le frottement de l'allumette, dans le fait de faire sortir le meilleur des autres êtres humains; l'approche inefficace, d'un autre côté, a pour résultat l'apparition du pire chez les autres individus. L'approche par les parents de l'enfant ou l'approche par le mari de la femme et vice versa, peuvent faire apparaître le meilleur ou le pire chez l'autre personne. L'approche des gens par le Gouvernement peut faire sortir le meilleur d'eux-mêmes ou le pire. De même en ce qui regarde l'industrie, les affaires et l'éducation. L'efficacité ou l'inefficacité dans tous les cas d'interactions humaines de la sorte dépendent respectivement de ce que la Gita appelle buddhi ou raison et volonté éclairées et disciplinées. C'est pourquoi l'exhortation de la Gita à l'homme est : buddhau ¿aranam anviccha - prends refuge en buddhi, développe buddhi à partir de tes énergies psychonerveuses et fait de cette buddhi le guide du char de ta vie, vijil¡na s¡rathi, comme l'exprime la Katha Upanishad dans la magnifique image du char de son troisième chapitre.

 

VI

Dans le langage du Vedanta et de la philosophie du Samkhya-Yoga, lorsque l'on est très tamasique de corps et de mental, on ne peut ressentir, encore moins voir, la présence de l'Atman à l'intérieur; on ressent un peu de sa présence lorsque l'on développe la qualité de rajas; mais c'est seulement lorsque l'on développe la qualité de sattva qu'apparaît la manifestation de l'Atman dans notre vie. Ce changement de tamas à rajas et de rajas à sattva indique aussi une évolution progressive de la conscience éthique, de la sensibilité humaine et de la liberté spirituelle. L'être immoral impur qui est semblable à l'allumette mouillée, a aussi pour âme profonde l'Atman infini éternellement pur, mais Il est g£dha, et donc na prak¡¿ate, caché, et donc 'non manifeste'.

Les personnes égoïstes, les gens mesquins, ceux qui exploitent et trompent les hommes et pensent qu'ils sont intelligents et qu'ils réussissent, ne peuvent jamais ressentir le toucher de l'Atman en eux. Beaucoup d'animaux sont intelligents, mais l'homme l'est plus qu'eux car il a un système cérébral efficace. Et si l'homme, en grand nombre, doté d'un tel organe versatile, considère qu'il réussit par une telle utilisation de son système cérébral, prenant cette habileté et cette malhonnêteté pour de l'intelligence, il n'y a alors qu'un avenir lugubre pour l'humanité. 'Adroit' signifie tout ce que veut dire le mot c¡l¡ki en hindi. Si notre éducation ne nous aide qu'à développer c¡l¡ki l'avenir de l'humanité sera lugubre, très très lugubre en vérité ! Nous nous tromperons alors les uns les autres et nous détruirons les uns les autres. Vivekananda a dit que, lorsque nous étions à l'état de cannibales au niveau culturel, nous nous tuions et nous mangions les uns les autres, mais maintenant que nous sommes dans un état éduqué et civilisé, nous ne nous mangeons pas les uns les autres, mais nous nous trompons les uns les autres! Nous avons encore à décider s'il est mieux de nous manger que de nous tromper, et vice-versa ! Tout ce cannibalisme et toute cette tromperie continueront autant que nous vivrons à notre niveau organique, aussi longtemps que nous nous considérerons comme un simple système organique recherchant des satisfactions organiques et que nous utiliserons notre science et notre technologie très efficaces pour nous donner des occasions de plus en plus grandes d'obtenir de telles satisfactions.

C'est le défi humain d'aujourd'hui. Si j'utilise les mots science et technologie dans le sens de science physique et de technologie physique, alors cette chasse mutuelle sans fin de satisfaction de besoins organiques aura pour résultat la réduction de la situation humaine en un état 'petit, mauvais et brute', pour utiliser les paroles fameuses de Thomas Hobbes. Nous voyons l'accroissement phénoménal des crimes décennie après décennie. Derrière toutes ces explosions de crime, de drogue et de sexe qui secouent actuellement notre civilisation se trouvent le besoin insatisfait, les mécontentements qui viennent de besoins non maîtrisés et l'absence de recherche de valeurs plus élevées. C'est la raison pour laquelle tant de criminels viennent de sections sociales éduquées et riches. En réalité, les gens qui sont pauvres dans leur poche ne sont pas aussi criminels, aussi déformés psychiquement que les gens qui sont pauvres de coeur. L'un est pauvre et l'autre est atteint de pauvreté. Nombre de vertus et de grâces, ainsi que la qualité d'humanité elle-même, qui manquent dans le second, se trouvent dans le premier. Les paroles fameuses du roi poète Bhartrihari dans son Vair¡gya-satakam éclairent la situation tragique actuelle (vers 53) :

sa tu bhavatu daridro yasy¡ trsna vi¿¡l¡
manasi ca parituste ko'rthav¡n ko daridrah

Il est en vérité daridra, frappé de pauvreté, celui dont les besoins
des sens sont grands, sans fin : mais lorsque le mental est contenté de manière heureuse,
qui est le riche, et qui le pauvre ?

Lorsque mes besoins sont infinis et que mes honnêtes revenus ne sont pas suffisants pour les satisfaire, je deviens frappé par la pauvreté et voleur, je suis amené à devenir un criminel et je dois voler quelqu'un. La plupart des vols de trottoir et autres crimes semblables dans les pays occidentaux et maintenant aussi dans notre propre pays, et la plupart des tricheries sont accomplis par des gens dont les besoins sont énormes et sans fin. Ils n'ont pas appris à discipliner leurs organes des sens ni leur mental. Le crime est la seule voie qui leur soit laissée. Notre propre capitale, Delhi, est devenue aujourd'hui l'endroit le plus dangereux de l'Inde, parce qu'il y a là une prolifération de personnes de la sorte.

Cela devient tragiquement vrai ici à Delhi et dans beaucoup d'autres parties de l'Inde aussi. Est-ce une civilisation ? Est-ce un progrès ? Cela ne révèle-t-il pas la mauvaise santé de l'état politique et de la société ? Ecoutons l'un des vers de notre grande épopée, le Mahabharata, qui communique la pensée de notre pays d'il y a quatre mille ans et qui donne le critère de la santé sociale et d'un état politique bien gouverné. Dans l'éthique de l'état, ou r¡ja-dharma, dans la section de son ¿anti-parva, Bhisma dit à l'Empereur Yudhisthira (12.68.32, édition Bhandarkar) :

Striya¿c¡puruÀ¡ m¡rgam sarv¡lank¡ra bh£Àitah :
Nirbhay¡h pratipadyante yada rakÀati bhumipah

Si les femmes, ornées de toutes leurs parures et sans hommes
pour les accompagner, peuvent se promener librement dans les rues
et les ruelles sans avoir peur, alors l'état est bien gouverné.

Quelle merveilleuse définition d'un état civilisé et bien gouverné ! Mais où en sommes-nous aujourd'hui ? Dans toutes les parties du monde, où est cette sécurité humaine ? Pour provoquer cette situation sociale, nous avons besoin de vivre selon une philosophie de vie différente de celle selon laquelle l'humanité vit dans la civilisation moderne. Nous devons avoir un aperçu de la nature brillante de l'homme, l'Atman, derrière ce système organique. Nous continuons d'élargir notre connaissance dans les sciences physiques, en sociologie, en politique, en économie et en psychologie moderne. Et tout ce savoir ne vise actuellement qu'à aiguiser nos appetits animaux et à étouffer le Divin en nous; ce savoir n'aide pas à l'épanouissement de l'homme au-delà de ses dimensions sensorielle et intellectuelle. Mais c'est précisément là, au-delà des dimensions sensorielle et intellectuelle, que repose tout ce qui est pur, fortifiant, humanisant et créatif. Exposant les nombreux maux produits par l'asservissement de l'homme aux sens et au mental prisonnier des sens, et la paix, la santé sociale et le bien-être qui apparaissent de la discipline de ces deux (sens et mental), le Mahabharata, dans son discours hautement spirituel fait par le vendeur de viande Dhjarmavyadha à l'ascète brahmane Kaushika, dit (Vana parva, 202, 16-21) :

Indriy¡nyeva tat sarvam yat svarga-narakam ubhau;
Nigrh¢ta-visrst¡ni svarg¡ya narak¡ya ca

"Ce qui est appelé ciel et ce qui est appelé enfer ne sont rien
que les sens; lorsqu'ils sont contrôlés et disciplinés, c'est le ciel,
lorsqu'ils sont relâchés, c'est l'enfer."

Esa yogavidhih krtsno y¡vadindriyadh¡ranam;
Etan-m£lam hi tapasah krtnasya narakasya ca

"La discipline des sens est la somme totale des moyens pour parvenir à toute évolution spirituelle; sa présence ou son absence constitue la racine de toute expérience d'enrichissement spirituel de l'homme et de tout enfer."

Indriyan¡m prsangena doÀamrcchatyasayam,
Samniyamya tu tanyeva tatah siddhim av¡pnute

"En y cédant, (l'homme) sans aucun doute contracte tous les vices;
lorsque, d'un autre côté, ils sont contrôlés et règlés
il atteint la liberté spirituelle et l'accomplissement."

Sann¡m ¡tmani nity¡n¡m ai¿varyam yo dhigacchati;
Na sa p¡paith kuto narthaih yujyate vijitendriyah

"La personne auto-contrôlée qui a en elle-même acquis la maîtrise
des six sens n'est souillée ni par la faute ni par d'autres maux."

Rathah sar¢ram purusasya drstam atma niyanta indriy¡ny¡hurasvan
Tairapramattah kusali sadasvaih dantaih sukham yati rathiva dhirah

"Le corps physique visible de l'homme est dit être comme un char, son âme est le conducteur qui contrôle et ses sens les chevaux; la personne sage et efficace, avec sa raison calme et non perturbée, conduit dans le bonheur comme un conducteur capable et non ivre en contrôlant ses chevaux disciplinés."

 

VII

Les fruits de la mauvaise philosophie selon laquelle les sociétés contemporaines vivent un genre grossier de matérialisme ne montrent qu'un avenir lugubre pour l'humanité. Cà n'est pas seulement mon point de vue, mais aussi celui de nombreux penseurs modernes. C'est la perspective qu'ont des livres comme celui qu'a écrit Rattray Tailor, publié il y a environ sept ans, et qui porte un titre effrayant : Le temps de la bombe biologique ! Il suggère qu'aux environ de l'année 2050 notre société humaine deviendra semblable à rien d'autre qu'à une ferme d'animaux. C'est contre cette sombre perspective que nous devons voir la philosophie majestueuse et lumineuse du Vedanta ainsi que le sens de son étude profonde de l'homme, qui ne dit pas 'non' aux soifs physiques de l'homme, qui ne dit pas non plus 'non' à ses aspirations intellectuelles, mais qui exhorte simplement l'homme à aller plus profond et à venir au contact et à manifester aussi les ressources d'énergie plus pures, plus vastes et plus créatrices qui demeurent en lui. Son exhortation à l'homme est : continue ta marche, ne t'arrête pas au niveau organique ou au niveau intellectuel. Manifeste la dimension divine qui est en toi.

Quelle merveilleuse conception de l'homme ! L'homme en paix avec lui-même, en paix avec le monde; l'homme qui a commencé à manifester le divin qui est en lui, qui peut aimer ses semblables et les autres êtres, qui peut avoir de la compassion, et qui peut exprimer ces choses en esprit et en actions de serviabilité et de service. C'est un type différent d'homme, et le produire par millions est la grande fonction du Vedanta à l'âge moderne. Vivekananda s'est emparé du Vedanta à partir des forêts et des grottes himalayennes inaccessibles, à partir de son coffre au trésor inaccessible, à savoir le Sanscrit, et il l'a diffusé partout, en Orient et en Occident. Ce travail a commencé de manière spectaculaire et pourtant non planifiée, à l'époque moderne, à Chicago en 1893, avec le premier éclatement de la bombe du Vedanta au Parlement Mondial des Religions. Comme c'était une plate-forme efficace pour apporter ce message vedantique lumineux à l'humanité moderne ! D'une voix sonnante, il livra son message salvateur à cet auguste forum mondial : Vous êtes tous les enfants du bonheur éternel - amrtasya putr¡h. Essayez de le manifester. Vous n'êtes pas les enfants du péché, les enfants de la faiblesse, les enfants de la matière terne et inerte. Vous êtes des esprits libres, éternels et purs, la matière est votre servante et non vous les serviteurs de la matière !

Voilà comment les sages indiens, anciens et modernes, décrivent l'homme et ses possibilités. Ce message a atteint l'occident moderne grâce à Vivekananda. Ce fut un appel formidable à l'esprit américain. De fait, tout esprit humain ressentira l'impact de ce message, de cet évangile - qui signifie 'bonne nouvelle' - qui proclame la liberté et l'égalité spirituelle de l'homme. C'est pourquoi il y eut une si formidable réponse de l'auditoire de ce grand Parlement qui était dans l'expectative. La présentation de ce message fut préfacée par lui avec cinq mots simples mais lourds de sens : Soeurs et Frères d'Amérique, mots qui instantanément touchèrent et pénétrèrent dans les coeurs de l'auditoire de la salle ce matin-là, et dans le coeur de millions d'autres sans qu'il y ait de salle le lendemain au travers des reportages dithyrambiques des journaux . Et ils ont continué après à retentir dans différents pays et à palpiter dans des millions de coeurs. Ces paroles vinrent de la conviction profonde de la vérité védantique dans le coeur de Swami, vérité de l'unité spirituelle de tous les êtres, de la vérité de l'Atman Divin Unique en tous. Cette vérité n'est pas révélée par les sens ou le mental lié aux sens, mais par le mental qui s'est émancipé de l'esclavage des sens et est devenu pur, pénétrant et lumineux. Ce ne furent pas des mots vides et formels, mais des mots qui vinrent de la profondeur de la réalisation. Cela seul explique la réponse formidable des coeurs des milliers de personnes de l'auditoire, la réponse d'applaudissements assourdissants qui durèrent deux minutes, et cela avant même que le discours de l'orateur, qui était un étranger, n'ait commencé !

Pour autant que notre pays soit concerné, Vivekananda a dit que, dans ce domaine, nous étions un peuple qui mourait de soif alors que l'éternelle Ganga de la sagesse Vedantique coulait juste à côté ! Je peux comprendre que des gens d'autres pays meurent d'une telle soif, là où cette philosophie n'est pas connue et n'est pas aisément disponible. Mais c'est ici notre Inde, où nous pouvons l'avoir librement et facilement comme l'air autour de nous; c'est la plus grande des tragédies que nous soyons actuellement, spirituellement parlant, la plus affamée des nations. 'Faim' est le mot juste, qui a partout pour résultat une malnutrition éthique, morale et spirituelle.

Cette tragique situation est arrivée après de longueus années de malnutrition spirituelle. Il y a la malnutrition spirituelle, à côté la malnutrition physique plus évidente, cette dernière affectant des millions de personnes de notre peuple en-dessous, les masses, la première affectant des millions de personnes de notre peuple au-dessus, les classes supérieures et moyennes. Pour combattre la seconde nous avons reçu et nous continuons de recevoir de l'aide internationale avec laquelle, avec notre propre production intensive de nourriture, nous avançons pour faire disparaître la malnutrition physique de nos enfants et de nos sections plus faibles. Nous apportons aussi de la nourriture mentale à nos millions de personnes au travers de nos coûteux programmes d'éducation. Mais côte à côte nous devons nous occuper aussi de la malnutrition spirituelle de notre peuple, particulièrement parmi ceux qui sont éduqués. En parlant de ce besoin vital, Vivekananda a dit dans sa conférence sur Le Vedanta et son application dans la vie indienne (Oeuvres Complètes Vol. III, p. 247) :

"Apportez tous la lumière dans le monde. Lumière, apportez de la lumière ! Que la lumière vienne en chacun, la tâche ne sera finie que lorsque chacun aura atteint le Seigneur.

Apportez la lumière au pauvre; et apportez plus de lumière au riche, car il en a besoin plus que le pauvre. Apportez la lumière à l'ignorant, et plus de lumière à celui qui est éduqué, car les vanités de l'éducation de notre temps sont terribles !"

 

VIII

Le Vedanta dit que notre pays peut devenir un paradis demain si une fraction de ce genre d'éveil à leur propre vérité brillante de l'Atman se produit chez notre peuple. Qu'il trouve son expression dans les relations humaines, amenant avec lui la capacité d'avoir de l'affection l'un envers l'autre, de s'aimer et de se servir l'un l'autre et non d'entrer en collision l'un avec l'autre comme ils le font maintenant. Telle est la bénédiction de Brahma Vidya ou Adhyatma Vidya. C'est la significaiton de l'évolution spirituelle de l'homme, la signification de l'évolution de l'homme au-delà de sa dimension organique. C'est une évolution psycho-sociale et non une simple évolution organique. Nous avons le meilleur des équipements physiques, ce système cérébral. Nous n'avons besoin d'aucun nouvel organe ou d'aucuns nouveaux organes; mais nous avons besoin d'apprendre à utiliser cet unique organe cérébral de notre système de manière efficace.

Ainsi la biologie d'aujourd'hui nous dit-elle : l'évolution au stade humain est devenu une évolution morale, éthique, esthétique et humaniste. Le Vedanta présente l'évolution humaine comme une croissance spirituelle. Dans l'évolution humaine, l'homme développe la capacité d'envoyer au monde des pulsations d'amour et de compassion. Avez-vous cette pulsation qui bat à l'intérieur de vous ? C'est aussi le langage de la biologie aujourd'hui. C'est aussi le langage, non seulement du Vedanta, mais aussi de toute pure religion : l'homme qui grandit spirituellement. Le petit enfant grandit aussi spirituellement en même temps que sa croissance physique et mentale plus palpables. Quelle belle conception de l'évolution humaine ! Aujourd'hui, dans ce domaine, la pensée la plus élevée de la science physique est en harmonie avec la pensée spirituelle la plus pure du Vedanta. Quand elles se renforcent l'une l'autre, nous obtenons une philosophie profonde et exhaustive de la croissance humaine, du développement humain et de l'accomplissement de l'homme.

Lorsque cette philosophie deviendra universellement connue et appliquée, nous pourrons parler en termes d'espoir de l'avenir de l'humanité. Quelles que soient les maladies actuelles, quelle que soit la lamentable situation sociale autour de nous, nous pouvons être assurés que ce ne sont que des phases passagères. Il y a assez de sagesse et d'inspiration disponibles dans le monde pour supposer que l'évolution de l'humanité n'est pas épuisée dans l'économie de production et de distribution ni dans la consommation de biens et de services matériels et mentaux. On peut avoir de ces choses à profusion comme on peut avoir énormément d'argent pour les acheter, mais on peut manquer l'expérience de l'amour et de la compassion ainsi que l'enrichissement qualitatif de la vie. Quelle est l'utilité de n'avoir que beaucoup d'argent ? Nous parlons de Lakshmi, notre belle déesse de la fortune; mais cela ne signifie pas seulement l'argent. Cela veut dire argent utilisé de manière créatrice pour enrichir et embellir la vie humaine, pour assurer le bien-être de l'homme. L'argent caché jalousement et protégé sous son oreiller n'est pas Lakshmi. C'est de l'argent mort, de la simple possession, quelque chose d'inauspicieux, c'est à dire a-lakshmi; il ne produit ni joie ni bien-être. Seul l'argent investi dans le développement de l'homme est véritable Lakshmi. La bénédiction de Lakshmi donne à l'humanité une possibilité de créer, d'apprécier et de jouir de la richesse, de la beauté et de la bonté.

Toutes ces possibilités sont cachées en nous, et nous devons les rendre réelles dans notre vie. Lorsque nous avons commencé à penser que Lakshmi ne voulait dire que richesse morte ou richesse acquise par l'exploitation de l'homme et que nous ne l'avons utilisée que pour nos propres satisfactions organiques, nous sommes devenus tronqués, nous sommes devenus stagnants. Les mots stagnant et stagnation sont très importants à la fois dans l'évolution biologique et dans le Vedanta. Les deux exhortent l'homme : ne stagne pas. Quelques espèces ont développé une haute socialisation et sont devenus stagnants pendant des millions d'années comme certains insectes par exemple. De la même manière, les êtres humains, individuellement ou en groupes, peuvent devenir et sont devenus stagnants au niveau organique, aucune évolution ne fut essayée ni réussie au-delà de ce niveau, ce qui veut dire la mort spirituelle. On ne devrait pas permettre à une telle stagnation de se produire. Nous pouvons nous reposer brièvement sur le chemin comme nous le faisons lorsque nous faisons un long pélerinage ou en alpinisme, mais nous repartons le lendemain et continuons notre marche jusqu'à notre destination. Ce genre de repos sur le chemin de notre évolution spirituelle n'est pas de la stagnation, çà n'est que le processus de récupération, suivi par un mouvement en avant plus vigoureux.

Ainsi, le Vedanta dit : Ne stagnez pas. C'est le seul avertisseement qu'il donne à l'homme; ne confondez pas repos sur le chemin et sommeil de mort, mais récupérez et remettez-vous en route. Que le courant de l'eau coule, l'eau stagnante est mauvaise pour la santé, l'eau qui coule est pure et bonne pour la santé. La vie humaine doit être un mouvement continu pour atteindre des niveaux d'épanouissement toujours plus élevés. Stoppée et rendue stagnante au niveau des sens, la vie cesse d'être vie et devient mort. La vie humaine d'aujourd'hui dans le monde montre le mal d'une telle stagnation. Nous devons faire monter les eaux de la vie, faire disparaître les matières qui obstruent, et les faire couler en un courant sain d'énergie humaine, révélant des dimensions de plus en plus grandes de vérité, de beauté et de bonté.

C'est le travail du Vedanta partout dans le monde. Nous n'en parlons pas en tant que religion au sens restreint du mot; nous le présentons comme une philosophie complète, comme la science et la technique du développement humain intégré. C'est exactement le sens et l'étendue de la philosophie Yoga de la Gita. 'Toute expansion est vie, toute contraction est mort', dit Swami Vivekananda. Lorsque vous vous contractez, vous mourez, votre 'je' devient limité. Je dois être heureux, je dois avoir du plaisir, je dois avoir plus d'argent. Je ne m'intéresse pas aux autres, j'arracherai n'importe qui d'autre à quelque avantage que ce soit. C'est ce qui est appelé me contracter vers un minuscule ego limité contrôlé par le système organique; c'est la mort et plus que la mort. L'autre est expansion, je m'étends au-delà de la limitation organique et je développe la compassion, l'amour et le souci des autres. Cela est évolution véritable, cela est véritable vie et plus que vie. Et quelle belle évolution ! C'est ce que doit réussir l'humanité en Inde et en dehors de l'Inde. La philosophie du Vedanta soutient cette énorme possibilité cachée en chaque être humain. C'est comme un ressort qui se déroule. Il y a une énergie immense enroulée en chacun de nous, nous l'appelons Kundalini dans notre langage mystique, la puissance enroulée. Dans tout développement de la vie, cette énergie se déroule, se libère. Dans un état de tamas, cette énergie demeure enroulée. L'homme devient alors stagnant, ce qui est pour lui une nuisance et un problème pour la société. Lorsque cette énergie commence à remuer, elle s'élève jusqu'à stade de rajas, l'homme devient alors plein de vitalité mais il sème autour de lui autant de mal que de bien. Puis, finalement, elle s'élève jusqu'au niveau de sattva, où toute l'énergie de la vie se transforme en une valeur bienfaisante intense et dynamique.

 

IX

Telle est la direction du déroulement de l'énergie enroulée en l'homme. Et tout le processus de ce déroulement est ce que nous entendons par éducation, et aussi ce que nous entendons par religion, qui n'est rien d'autre que de l'éducation continuée, selon le Vedanta. C'est pourquoi, lorsque vous quittez l'école et le collège, ne dites pas que vous avez terminé vos études; vous n'avez terminé que l'école, votre éducation institutionnelle; pour le mieux, elle peut vous donner l'éducation de base par laquelle et de laquelle vous pouvez poursuivre vos études tout le long de votre vie et réaliser l'épanouissement le plus total de vos possibilités. Il est grand temps que nous prenions conscience que cette éducation continue toute la vie. Sri Ramakrishna disait : 'Aussi longtemps que je vis, j'apprends.' Lorsque vous comprenez l'éducation de ce point de vue, alors vous réalisez que ce concept d'évolution spirituelle de l'homme s'intègre avec les autres concepts d'évolution physique et intellectuelle de l'homme. C'est atmavikasa dans sa plénitude. Vikasa est le nom de cette évolution humaine. Il vous donne l'image d'un bourgeon de lotus ou d'un bourgeon de rose en train de s'épanouir. Lorsque vous montrez de la compassion, vous montrez atmavikasa : lorsque vous aimez, lorsque vous rendez service de manière désintéressée, vous montrez atmavikasa. L'Atman se manifeste doucement en vous. C'est pourquoi Vivekananda a donné la définition scientifique la plus belle de la religion comme étant 'la manifestation de la divinité déjà présente en l'homme'. En proclamant la gloire de l'homme comme Atman Infini, Swami Vivekananda dit (Oeuvres complètes, Vol. II p. 250) :

Aucun livre aucune écriture, aucune science ne pourra jamais imaginer la gloire du Soi qui apparaît en tant qu'homme, le Dieu le plus glorieux qui fut jamais, le seul Dieu qui a toujours existé, ou qui existera toujours.

Et encore (Ibid. p. 279) :

En adorant Dieu, nous avons toujours adoré notre Soi caché.

Le Yajur Veda exhorte l'homme à 'marcher et toujours marcher' - caraiveti caraiveti ! C'est l'attitude rafraîchissante du Vedanta; c'est sa force, c'est aussi son intense souci humain. Il ne baisse pas le regard vers les plaisirs humains, y compris les plaisirs physiques et sensuels; il ne parle jamais d'eux comme du jeu du diable; il exhorte simplement l'homme, comme le père et la mère exhortent l'enfant qui s'amuse avec des jouets, à en terminer avec eux et à aller ensuite plus loin, à aller de l'avant, il y a là pour vous des joies plus pures et plus intenses à atteindre. Vous pouvez manger un délicieux repas et dire : Quel travail ! Oui, c'est vrai, c'est une joie. Mais lorsque vous lisez un beau livre, vous obtenez un autre genre de joie. Lorsque vous acquérez une certaine connaissance, vous êtes joyeux. Lorsque vous voyez une belle oeuvre d'art ou que vous en produisez une, ou que vous écrivez un poème, vous obtenez de la joie. Ce sont des genres plus élevés de joie; les joies sensorielles sont d'un genre ordinaire. Nous les partageons avec les animaux; mais ces joies plus élevées sont uniquement humaines. Et les hommes et les femmes qui manquent de s'élever à ces niveaux mais stagnent au niveau sensoriel ont manqué de réussir leur human-ité.

Mais toutes ces joies montent jusqu'à leur niveau le plus élevé, le plus pur et le plus intense lorsque nous réalisons le Divin qui est en nous. La vie devient plus piquante à ce niveau. La joie de la spiritualité est plus pure et plus intense que la joie de l'intellectualisme. Aussi aller de joie en joie, et non de peine en joie, aller de vérité en vérité et non d'erreur en vérité, c'est le grand message du Vedanta.

Si vous lisez la vie des grands saints et des grands sages de toute religion - hindoue, chrétienne, islamique soufie, bouddhiste, taoïste et judaïque - vous y trouverez un grand puits de joie émanant de leurs vies, et ils peuvent tout aussi bien donner cette joie aux autres. A notre époque, Vous trouvez l'expression de joie la plus complète dans la vie de Sri Ramakrishna. Il est la parfaite démonstration de la vérité de ce magnifique vers sanscrit de notre tradition (Pandava-Gita) :

N¢tyotsavam bgavatyeÀ¡m nitya ¿r¢ nitya mangalam
YeÀ¡m hrdiÀto bhagav¡n mangal¡yatano harih

La vie est une fête perpétuelle, une prospérité perpétuelle et quelque
chose de prometteur pour tous ceux dont le coeur est pleinement
établi en Hari, qui est la demeure de tout ce qui est auspicieux.

Quel état béni celui d'avoir Hari établi dans son coeur ! Hari ou Narayana est mangalayatana, la demeure de tout ce qui est mangalam, bienfait ou auspices. Comme nous le dit le ViÀ¸u- Sahasran¡ma : Vishnu ou Hari est mangalanam mangalam : l'âme même de l' 'auspiciosité' dans les choses qui sont auspicieuses. Si Hari, toujours caché en tous, se manifeste dans le coeur de quelqu'un, qu'arrive-t-il à sa vie ? La réponse nous est donnée ainsi : chaque jour de sa vie devient une fête, devient un d¢p¡vali - un nityos¡va, nitya, c'est à dire éternel, et utsava, c'est à dire fête. De même aussi nitya sri, prospérité, et nitya mangalam. Sa vie s'élève avec la vérité, la bonté, la beauté et la joie, comme un puits artésien et tout le reste peut partager cette joie. Lorsque vous lisez la vie de Sri Ramakrishna et lorsque vous lisez l'Evangile de Sri Ramakrishna par M, vous y trouvez ces descriptions. Le Maître est présenté comme rempli de joie, chantant et dansant dans un bonheur extatique et, plus tard, faisant des plaisanteries avec les jeunes disciples assis autour de lui: lorsque M entre dans la chambre du Maître, il le trouve 'a mart of joy'. C'est une merveilleuse idée de la religion. La religion est joie, joie la plus entière, sans ucune ombre de privation ou de peine. Dans la vie normale, nous avons des alternances de joie et de peine; mais dans la réalisation spirituelle, c'est le bonheur infini, sans l'ombre d'un nuage de peine; et cela est le droit de naissance de chacun. Une fraction de ce bonheur divin, s'élevant des profondeurs de notre être où Hari toujours demeure, est suffisante pour rendre notre vie joyeuse et libre.

C'est pourquoi les enseignants du Vedanta disent : 'Voici pour l'homme la possibilité d'une vie pleine de joie, libre de tension et de privation; que l'homme s'élève des joies organiques jusqu'aux joies du mental, puis jusqu'à la joie la plus grande de sa nature spirituelle; il prendra conscience à partir de sa propre expérience que cette joie la plus haute est véritablement la plus haute, incomparable.'

 

X

Lorsque les gens dans le monde entier commenceront à comprendre cette grande vérité védantique de la nature divine de l'homme et de sa capacité organique à la réaliser, et n'avancera ne serait-ce que d'un pouce, quelle formidable ressource d'énergie spirituelle deviendra disponible pour chaque être humain ! C'est pourquoi je suis plein d'espoir en ce qui concerne l'avenir du genre humain, et cette espérance est basée sur des faits, et sur la richesse spirituelle de l'héritage humain dont la plupart est inconnu et inexploité. De fait, tous les gens répondent à ce message védantique de la divinité inhérente en eux-mêmes, et beaucoup expérimentent les diverses techniques de sa réalisation. Quel est le sens de la méditation ? Posez-vous cette simple question. C'est une technique qui est aujourd'hui devenue universelle. Il y a 50 ans, la plupart des gens en Occident avaient l'habitude de mépriser l'homme assis en méditation. Ils avaient l'habitude de le traiter de fou et d'anormal. Mais aujourd'hui personne ne le fait, même le multi-millionnaire de New York, l'homme profane terre à terre, la traitent comme une technique et un art merveilleux. Cette appréciation universelle de cette discipline merveilleuse de méditation souligne la grande vérité védantique de l'homme allant au-delà de ses dimensions sensorielle et psychique à la recherche d'un mystère profond en lui, avec la conviction que l'épanouissement de cela est la seule voie vers un épanouissement total. Lorsque vous nagez à la surface, avait l'habitude de dire Sri Ramakrishna, vous obtenez des coquilles bon marché, mais lorsque vous plongez profondément, vous obtenez des perles. Il aimait chanter une chanson sur ce thème même : Plonge profondément, plonge profondément, plonge profondément, O mon mental, dans l'océan de la beauté; de magnifiques joyaux reposent au fond de cet océan.

C'est pourquoi, en parlant sur le Vedanta et l'Avenir de l'Humanité, je puis jouer une note d'espoir, une note d'acclamation, en dépit du fait de savoir parfaitement que les conditions humaines contemporaines sont sombres et dépressives. Cà n'est pas seulement l'ancienne philosophie du Vedanta qui nous soutient dans cette espérance et dans cette assurance, mais aussi les grands enseignants modernes qui brillent, comme Sri Ramakrishna et Swami Vivekananda, que Romain Rolland présente dans sa Vie de Ramakrishna comme la Symphonie de l'Âme Universelle, et qui illustrent cette vision dynamique et universelle à cette époque moderne. Oui, ce que nous ne pouvions atteindre dans le passé, nous pouvons l'atteindre dans cette époque moderne. C'est pourquoi nous pouvons rentrer chez nous avec la conviction que, bien que les choses soient très lugubres autour de nous, iln'est pas besoin qu'elles continuent de l'être. Il fait très noir à minuit puis, quelques heures plus tard, le ciel devient rose avec l'approche de l'aube; et bientôt le soleil se lève à l'horizon, chassant toute obscurité. Ainsi, la prière silencieuse venant du coeur de millions d'hommes et de femmes aujourd'hui est exprimée dans cette ancienne prière védique de la Brad¡ranyaka Upanishad, composée il y a quelques milliers d'années (1.3.28) :

Asato ma sad gamaya
Tamaso ma jyotir gamaya
Mrtyor ma am¤tam gamaya

Conduis-nous de l'irréalité à la réalité !
Conduis-nous de l'obscurité à la lumière !
Conduis-nous de la mort à l'immortalité !

Suite dans le prochain numéro de RAMA NAMA