Swami Vivekananda

 

LA MISSION DU VEDANTA

 

Conférence donnée à Kumbhakonam (Tamil Nadu - Bharat)
(Traduction : Gaura Krishna)

 

Un petit peu de travail religieux accompli apporte beaucoup de résultat. Si cette affirmation de la Gita avait besoin d'une illustration, je trouve chaque jour dans mon humble vie la vérité de cette grande parole. Mon oeuvre a en vérité été fort insignifiante, mais la douceur et la cordialité de l'accueil que j'ai rencontrées à chaque étape de mon voyage depuis Colombo jusqu'ici ont simplement été au-delà de toute attente. Cela est pourtant en même temps digne de nos traditions en tant qu'hindous, cela est digne de notre race; car nous sommes ici, la race hindoue, dont la vitalité, dont le principe de vie, dont l'âme même est, pour ainsi dire, dans la religion (1). J'ai vu un peu du monde, voyageant parmi les races de l'Orient et de l'Occident, et partout j'ai trouvé parmi les nations un grand idéal qui forme, pour ainsi dire, la colonne vertébrale de cette race. Pour certaines c'est la politique, pour d'autres c'est la culture sociale, d'autres encore peuvent avoir une culture intellectuelle etc. comme toile de fond. Mais cette mère-matrie qui est la nôtre a la religion et la religion seule pour base, pour colonne vertébrale, pour fondement sur lequel l'édifice entier de sa vie a été basé. Certains d'entre vous peuvent s'en souvenir dans ma réponse à l'aimable lettre que les gens de Madras m'ont envoyée en Amérique. Je soulignais le fait qu'un paysan de l'Inde a, à beaucoup d'égards, une meilleure éducation religieuse que plus d'un gentleman d'Occident, et aujourd'hui, au delà de tout doute, je vérifie mes propres paroles. Il fut un temps où je me sentais plutôt mécontent du manque d'information parmi les masses de l'Inde et de leur manque de soif d'information, mais je le comprends maintenant. Ils sont plus avides d'information là où se trouve leur intérêt que les masses de toute autre race que j'ai vue ou parmi laquelle j'ai voyagé. Questionnez nos paysans sur les importants changements politiques de l'Europe, sur les bouleversements qui se produisent dans la société européenne, ils n'en connaissent rien et ne cherchent pas à savoir; mais les paysans, même à Ceylan, détachés de l'Inde de multiples façons, coupés d'un intérêt vivant en Inde : j'ai trouvé que les paysans même qui y travaillent dans les champs sont déjà au courant qu'il y a eu un Parlement des Religions en Amérique, qu'un sannyasi indien (2) s'y est rendu et qu'il y a eu du succès. Donc, là où se trouve leur intérêt, ils sont aussi avides d'information que toute autre race, et la religion est le seul intérêt des gens de l'Inde. Je ne parle pas seulement de savoir s'il est bon que la vitalité de la race se trouve dans les idéaux religieux ou dans les idéaux politiques, mais jusqu'ici il est clair pour nous que, pour le bien ou pour le mal, notre vitalité est concentrée dans notre religion. Vous ne pouvez pas changer cela. Vous ne pouvez pas le détruire ni mettre quelque chose à la place. Vous ne pouvez pas transplanter un immense arbre qui pousse d'un sol dans un autre et l'y faire prendre racine immédiatement. Pour le bien ou pour le mal, l'idéal religieux a coulé en Inde pendant des milliers d'années, pour le bien ou pour le mal l'atmosphère indienne a été remplie des idéaux de la religion pendant de brillantes vingtaines de siècles; pour le bien ou pour le mal, nous sommes nés et nous avons grandi au milieu même de ces idéaux de la religion jusqu'à ce qu'elle soit entrée dans notre sang même, qu'elle vibre avec chaque goutte de nos veines et qu'elle soit devenue une avec notre constitution, qu'elle soit devenue la vitalité même de nos vies. Pouvez-vous abandonner une telle religion sans éveiller la même énergie en réaction, sans remplir le canal que cette puissante rivière s'est taillé au cours de milliers d'années ? Voulez-vous que Ganga retourne à son berceau de glace et entame un nouveau cours ? Même si c'était possible, il serait impossible pour ce pays d'abandonner le cours caractéristique de sa vie religieuse et de faire une nouvelle carrière dans la politique ou dans quelque chose d'autre. Vous ne pouvez travailler que selon la loi de la moindre résistance, et en Inde cette ligne religieuse est la ligne de moindre résistance. C'est la ligne de vie, c'est la ligne de croissance, et c'est la ligne du bien-être en Inde que de suivre la piste de la religion. Oui, dans les autres pays la religion n'est que l'une des nombreuses nécessités de la vie. Pour utiliser une illustration fréquente que j'ai l'habitude d'utiliser : ma lady a beaucoup de choses dans son salon, et c'est la mode de nos jours d'avoir un vase japonais, et elle doit s'en procurer un; il n'est pas bien de ne pas en avoir. Alors ma lady, ou mon gentleman, a beaucoup d'autres occupations dans la vie, et un peu de religion doit aussi y entrer pour la compléter. Il ou elle a en conséquence une petite religion. La politique, l'amélioration sociale, en un mot ce monde, est en Occident le but de l'humanité, et Dieu et la religion entrent doucement comme aides à l'atteinte de ce but. Leur Dieu est, pour ainsi dire, l'Être qui aide à nettoyer et à meubler ce monde pour eux; c'est pour eux apparemment toute la valeur de Dieu. Ne savez-vous pas que pendant la dernière centaine ou les deux dernières centaines d'années vous n'avez pas cessé d'entendre des lèvres d'hommes qui auraient du mieux savoir, des bouches de ceux qui prétendent, au moins, mieux connaître, que tous les arguments qu'ils produisent contre la religion indienne est ceci : que notre religion ne contribue pas au bien-être de ce monde, qu'elle ne nous amène pas d'or, qu'elle ne fait pas de nous des pilleurs de nations, qu'elle ne fait pas les forts se tenir sur le corps des faibles ni se nourrir de leur sang vital. Certainement, notre religion ne le fait pas. Elle ne peut envoyer des cohortes sous les pieds desquelles tremble la terre, dans un but de destruction, de pillage et de ruine des races. Aussi disent-ils : qu'y a-t-il dans cette religion ? Elle n'apporte aucun blé à moudre au moulin, aucune force aux muscles; qu'y a-t-il dans ce genre de religion ? Ils rêvent un peu que c'est l'argument même avec lequel nous prouvons notre religion, parce qu'elle n'est pas faite pour ce monde. Notre religion est la seule vraie religion, parce que selon elle ce petit monde des sens d'une durée de trois jours n'est pas la fin et le but de tout, qu'il n'a pas à être notre grand but. Ce petit horizon terrestre de quelques pieds n'est pas celui qui limite la vue de notre religion.. Le nôtre est bien au-delà et encore au-delà, au-delà des sens, au-delà de l'espace et au-delà du temps, loin, loin au-delà, jusqu'à ce que rien de ce monde ne reste et que l'univers lui-même devienne comme une goutte dans l'océan transcendental de la gloire de l'Âme. Notre religion est la véritable religion, parce qu'elle enseigne que Dieu seul est vrai, que ce monde est faux et éphémère, que tout votre or n'est que comme de la poussière, que tout votre pouvoir est limité, et que la vie elle-même est souvent un mal; c'est pourquoi notre religion est la véritable religion. Notre religion est la véritable religion, parce qu'au-dessus de tout, elle enseigne la renonciation et qu'elle se lève avec la sagesse des âges pour dire et déclarer aux nations qui ne sont que des enfants d'hier comparés à nous, Hindous - qui possédons l'antiquité vénérable de la sagesse, découverte par nos ancêtres ici en Inde - pour leur dire en paroles claires : "Enfants, vous êtes esclaves des sens; il n'y a que limitation dans les sens, il n'y a que ruine dans les sens, les trois petits jours de luxure ici n'apportent que ruine à la fin. Abandonnez tout, renoncez à l'amour des sens et du monde, c'est LA voie de la religion." La renonciation est la voie qui mène au but et non la jouissance. C'est pourquoi notre religion est la véritable religion. Oui, c'est un fait curieux qu'alors que nations après nations sont apparues sur la scène du monde, qu'elles ont joué leurs rôles vigoureusement pendant quelque temps et sont mortes pratiquement sans laisser de marque ou de ride sur l'océan du temps, nous vivons ici, pour ainsi dire, une vie éternelle. Ils parlent beaucoup de nouvelles théories sur la survie du plus apte, et ils pensent que c'est la force des muscles qui est la mieux à même de survivre. Si c'était vrai, chacune des vieilles nations du monde connues d'une manière agressive devrait aujourd'hui vivre dans la gloire, et nous les faibles hindous devrions être morts, pourtant nous vivons, forts de trois cent millions d'êtres ! (3). (Une jeune anglaise me dit un jour : qu'ont fait les hindous ? Ils n'ont jamais conquis une seule race !) Et il n'est pas du tout vrai que toutes ses énergies sont dépensées, que l'atrophie s'est emparée de son corps; çà n'est pas vrai. Il y a assez de vitalité, et elle sort par torrents, et elle se déverse sur le monde lorsque le temps est mur et le demande. Nous avons, en quelque sorte, jeté un défi au monde entier depuis les temps les plus anciens. En Occident, ils essayent de résoudre le problème de savoir combien un homme peut posséder, et nous essayons ici de résoudre le problème de savoir quel est le peu avec lequel un homme peut vivre. Cette lutte et cette différence continueront encore pendant quelques siècles. Mais si l'histoire a en elle quelque vérité, et si les pronostics se révèlent jamais vrais, il doit advenir que ceux qui s'entraînent à vivre avec le moins et qui se contrôlent bien gagneront la bataille à la fin, et que ceux qui courent après le plaisir et la luxure, aussi vigoureux qu'ils puissent sembler pour le moment, devront mourir et être annihilés. Il y a des moments dans l'histoire de la vie de l'homme, non, dans l'histoire des vies des nations, où une sorte de lassitude du monde devient douloureusement prédominante. Il semble qu'une telle marée de lassitude du monde ait surpris le monde occidental. Là aussi, ils ont leurs penseurs, de grands hommes; et ils se rendent déjà compte que cette race, après l'or et le pouvoir, n'est que vanité des vanités; beaucoup, non, la plupart des hommes et des femmes cultivés de là-bas sont déjà fatigués de cette compétition, de cette lutte, de cette brutalité de leur civilisation commerciale, et ils jètent le regard vers quelque chose de mieux. Il y a une classe qui s'attache encore aux changements politiques et sociaux comme seule panacée aux maux de l'Europe, mais parmi les grands penseurs, d'autres idéaux apparaissent. Ils se sont rendus compte qu'aucune quantité de manipulation politique ou sociale des conditions humaines ne pouvait guérir les maux de la vie. C'est un changement de l'âme elle-même pour le mieux qui peut seul guérir les maux de la vie. Aucune quantité de force, ou de gouvernement, ou de cruauté législative ne changera les conditions d'une race, mais c'est la culture spirituelle et la culture morale seules qui pourront changer les mauvaises tendances raciales pour le mieux. Ainsi, ces races d'Occident sont avides d'une nouvelle pensée, d'une nouvelle philosophie; la religion qu'elles ont eue, le Christianisme, quoique bonne et glorieuse à beaucoup d'égards, a été imparfaitement comprise, et, comme elle l'est jusqu'à présent, on la trouve insuffisante. Les penseurs d'Occident trouvent dans notre ancienne philosophie, particulièrement dans le Vedanta, la nouvelle impulsion de pensée qu'ils recherchent, la nourriture et la boisson spirituelles mêmes dont ils ont faim et soif. Et il n'est pas étonnant qu'il en soit ainsi.

J'ai pris l'habitude d'entendre toutes sortes de revendications en faveur de toute religion qui existe sous le soleil. Vous avez aussi entendu, à une époque tout à fait récente, les prétentions mises en avant par le Dr. Barrows, un de mes grands amis, selon lesquelles le Christianisme est la seule religion universelle. Laissez-moi considérer cette question pendant quelque temps et mettre devant vous les raisons pour lesquelles je pense que c'est le Vedanta, et le Vedanta seul, qui peut devenir la religion universelle de l'homme, et qu'aucune autre religion n'est apte à ce rôle. A l'exception de la nôtre, pratiquement toutes les autres grandes religions du monde sont inévitablement liées à la vie ou aux vies d'un ou de plusieurs de leurs fondateurs. Toutes leurs théories, leurs enseignements, leurs doctrines, et leur morale sont construits autour de la vie d'une personne fondatrice de laquelle ils tiennent leurs décrets, leur autorité et leur pouvoir, et, de manière assez étrange, tout le tissu de ces religions est pour ainsi dire construit sur l'historicité de la vie du fondateur. Si un coup est porté à l'historicité de cette vie, comme cela a été le cas à l'époque moderne avec pratiquement tous les soi-disant fondateurs de religion - nous savons que qu'on ne croit pas sérieusement de nos jours la moitié des détails de ces vies et que l'autre moitié est sérieusement mise en doute - si cela devient le cas : si ce roc d'historicité, comme ils prétendent l'appeler, est secoué et qu'il se brise, l'édifice entier s'effondre complètement brisé, sans jamais pouvoir retrouver son statut perdu. Chacune des grandes religions du monde, à l'exception de la nôtre, est construite sur de tels caractères historiques, mais la nôtre repose sur des principes. Aucun homme ni aucune femme ne peut prétendre avoir créé les Vedas. Ils sont l'incarnation de principes éternels; les sages les ont découverts; et les noms de ces sages sont parfois mentionnés, juste leurs noms; nous ne savons même pas qui ils étaient ou ce qu'ils étaient. Dans de nombreux cas nous ne savons pas qui étaient leurs pères, et presque dans chaque cas nous ne savons ni quand ni où ils sont nés. Mais tenaient-ils à leurs noms, ces sages ? Ils étaient les prêcheurs de principes et, autant qu'ils l'ont pu, ils ont essayé eux-mêmes de devenir des illustrations des principes qu'ils prêchaient. En même temps, tout comme notre Dieu est à la fois un Dieu Impersonnel et pourtant un Dieu Personnel, notre religion est une religion très intensément impersonnelle, une religion basée sur des principes, et pourtant elle a un espace infini pour le jeu des personnes; car quelle religion vous donne plus d'Incarnations, plus de prophètes, plus de voyants, et en attend encore infiniment plus ? Le Bhagavata dit que les Incarnations sont infinies, laissant un grand espace pour autant à venir que vous voulez. Aussi, s'il était prouvé que l'une ou plusieurs de ces personnes dans l'histoire religieuse de l'Inde, que l'une ou plusieurs de ces Incarnations, et qu'un ou plusieurs de nos prophètes ne sont pas historiques, cela ne ferait aucun tort à notre religion, elle demeurerait ferme comme toujours parce qu'elle est basée sur des principes et non sur des personnes. C'est en vain que nous essayons de rassembler tous les peuples du monde autour d'une seule personnalité. Il est difficile de les faire se rassembler même autour de principes éternels et universels. S'il devient jamais possible d'amener la plus grande partie de l'humanité à une manière de penser en ce qui concerne la religion, remarquez-le, ce doit toujours être au travers de principes et non au travers de personnes. Pourtant comme je l'ai dit, notre religion a un large espace pour l'autorité et l'influence de personnes. Il y a cette merveilleuse théorie de l'Ishta (1) qui vous donne le choix le plus libre qu'il est possible parmi ces grandes personnalités religieuses. Vous pouvez prendre n'importe lequel de ces prophètes ou de ces enseignants pour guide et pour objets de votre adoration particulière, il vous est même permis de penser que celui que vous avez choisi est le plus grand des prophètes, le plus grand de tous les Avataras, il n'y a aucun mal à cela, mais vous devez garder un fond ferme de principes vrais éternellement. Le fait étrange ici est que le pouvoir de nos Incarnations n'a été valable pour nous qu'autant qu'elles ont été des illustrations des principes des Vedas. La gloire de Shri Krishna est qu'il a été le meilleur prêcheur de notre religion éternelle des principes et le meilleur commentateur du Vedanta qui ait jamais vécu en Inde.

La seconde revendication du Vedanta à mettre à l'attention du monde est que, de toutes les Ecritures du monde, c'est la seule Ecriture dont l'enseignement est en totale harmonie avec les résultats atteints par les investigations scientifiques modernes sur la nature extérieure. Deux esprits dans le passé confus de l'histoire, en rapport l'un avec l'autre dans la forme, la parenté et la sympathie, ont débuté, placés sur des routes différentes. L'un était l'esprit Hindou de jadis et l'autre l'esprit grec du passé. Le premier a commencé en analysant le monde intérieur. Le second a commencé par rechercher ce but au-delà en analysant le monde extérieur. Et même au travers des diverses vicissitudes de leur histoire, il est facile de relever que ces deux vibrations de pensée tendent à produire des échos similaires du but qui se trouve au-delà. Il semble clair que les conclusions de la science matérialiste moderne ne peuvent être acceptables et en harmonie avec leur religion que pour les Vedantins, ou Hindous comme on les appelle. Il semble clair que le matérialisme moderne puisse se maintenir et qu'il approche en même temps la spiritualité en souscrivant aux conclusions du Vedanta. Il nous semble, à nous et à tous ceux qui cherchent à savoir, que les conclusions de la science moderne sont les conclusijns même que le Vedanta a atteint il y a des âges; seulement, dans la science moderne elles sont écrites dans le langage de la matière. Alors ceci est une autre revendication du Vedanta sur les esprits occidentaux modernes : sa rationalité, le merveilleux rationalisme du Vedanta. Certains des meilleurs esprits scientifiques occidentaux du jour m'ont dit à quel point étaient merveilleusement rationnelles les conclusions du Vedanta. Je connais l'un d'eux personnellement, qui n'a gère le temps de prendre ses repas ou de sortir de son laboratoire, mais qui pourtant arriverait à l'heure pour écouter mes conférences sur le Vedanta; car, comme il le dit, elles sont si scientifiques, elle sont si exactement en harmonie avec les aspirations du temps et avec les conclusions auxquelles arrive la science moderne à l'heure actruelle. Je voudrais particulièrement attirer votre attention sur deux conclusions scientifiques de ce genre tirées de la religion comparative; l'une porte sur l'idée de l'universalité des religions et l'autre sur l'idée de l'unité des choses. Nous observons dans les histoires de Babylone et parmi les Juifs qu'il arrive un phénomène religieux intéressant. Nous voyons que chacun de ces peuples babylonien et juif a été divisé en des tribus si nombreuses, chaque tribu ayant son propre dieu, et que ces petits dieux tribaux ont souvent un nom générique. Parmi les Babyloniens, les dieux étaient tous appelés Baal, et parmi eux Baal Moradac était le chef. Au cours du temps l'une de ces nombreuses tribus a conquis et a assimilé les autres tribus racialement alliées et le résultat naturel a été que le dieu de la tribu conquérante a été mis à la tête de tous les dieux des autres tribus. C'est ainsi que le soi-disant monothéisme vantard des Sémites a été créé. Parmi les Juifs les dieux étaient connus sous le nom de Moloch. Il y avait parmi ces dieux un Moloch qui appartenait à la tribu appelée Israël, et il a été appelé Moloch Yahva ou Moloch Yava. Avec le temps, cette tribu d'Israël a lentement conquis quelques-unes des autres tribus de la même race, elle a détruit leurs Molochs et elle a déclaré son propre Moloch comme le Moloch Suprême de tous les Molochs. Et je suis sur que la plupart d'entre vous connaissent la quantité d'effusions de sang, de tyrannie et de sauvagerie brutale que cette conquête religieuse a entraîné. Les Babyloniens ont essayé plus tard de détruire la suprématie de Moloch Yahva, mais ils n'ont pas réussi à le faire. Il me semble qu'une telle tentative d'affirmation tribale de soi en matière religieuse peut aussi avoir eu lieu aux frontières de l'Inde. Ici aussi, toutes les tribus diverses des Aryas ont pu venir en conflit avec une autre pour déclarer la suprématie de leurs dieux tribaux respectifs; mais il devait en être autrement de l'histoire de l'Inde, elle devait être différente de celle des Juifs. Seule, de tous les pays, l'Inde devait être le pays de la tolérance et de la spiritualité, et c'est pourquoi le combat entre tribus et leurs dieux n'a pas duré longtemps ici. Car l'un des plus grands sages qui soit jamais né découvrit ici en Inde, même à cette époque lointaine que l'histoire ne peut atteindre et dans laquelle l'ombre même de la tradition n'ose pas jeter un oeil, à cette époque lointaine le sage s'est levé et il a déclaré : ekam satviprâ bahudha vadanti : "Celui qui existe est un, les sages L'appellent de diverses manières." C'est l'une des phrases les plus mémorables qui ait jamais été prononcées, l'une des plus grandes vérités qui ait jamais été découvertes. Et pour nous Hindous, cette vérité a été la colonne vertébrale même de notre existence nationale. Car dans toutes les perspectives de notre vie nationale, cette seule idée, ,ekam satviprâ bahudha vadanti , est descendue, gagnant en volume et en plénitude jusqu'à ce qu'elle ait imprégné la totalité de notre existence nationale, jusqu'à ce qu'elle se soit mêlée à notre sang et soit devenue une avec nous. Nous aimons cette grande vérité dans chaque veine, et notre pays est devenu le pays glorieux de la tolérance religieuse. C'est ici et ici seulement qu'ils ont construit des temples et des églises pour les religions qui sont venues avec l'objectif de condamner notre propre religion. C'est un très grand principe que le monde attend d'apprendre de nous. Oui, vous ne savez pas beaucoup combien d'intolérance se trouve encore à l'étranger. Cela m'a frappé plus d'une fois, tant que j'aurais du laisser mes os sur les rives étrangères du fait de cette prédominance d'intolérance religieuse. Tuer un homme n'est rien pour le bien de la religion; ils peuvent le faire demain au coeur même de la vantarde civilisation de l'Occident s'ils ne le font pas vraiment aujourd'hui. L'expulsion sous ses formes les plus horribles peut souvent venir sur la tête d'un homme en Occident s'il a osé dire un mot contre la religion acceptée de son pays. Ils parlent ici spécieusement et doucement en critiquant nos lois de caste. Si vous allez en Occident et que vous y vivez comme je l'ai fait, vous saurez que même quelques-uns des plus grands professeurs dont vous entendez parler sont des poltrons finis et qu'ils n'osent pas dire, par peur de l'opinion publique, la centième partie ce de qu'ils tiennent pour réellement vrai en matière religieuse.

Aussi le monde attend-il cette grande idée de tolérance universelle. Ce sera une grande acquisition pour la civilisation. Non, aucune civilisation ne peut durer longtemps à moins que cette idée ne la pénètre. Aucune civilisation ne peut grandir, à moins que le fanatisme, l'effusion de sang et la brutalité ne s'arrêtent. Aucune civilisation ne peut commencer à lever la tête sans que nous nous regardions charitablement l'un l'autre, et le premier pas vers cette charité dont il est grand besoin est de regarder charitablement et aimablement les convictions religieuses des autres. Non, plus, de comprendre que non seulement nous devons être charitables, mais positivement serviables l'un envers l'autre, quelles que puissent être différentes nos idées et nos convictions religieuses. Et c'est exactement ce que nous faisons en Inde, comme je viens de vous le raconter. C'est ici en Inde que les Hindous ont construit et construisent encore des églises pour les Chrétiens et des mosquées pour les Mohammédans. C'est la chose à faire. Malgré leur haine, malgré leur brutalité, malgré leur cruauté, malgré leur tyrannie, et malgré le langage exécrable qu'ils ont l'habitude d'exprimer, nous voulons et devons continuer à construire des églises pour les Chrétiens et des mosquées pour les Mahommédans jusqu'à ce que nous gagnons par amour, jusqu'à ce que nous ayons démontré au monde que l'amour seul est la chose la meilleure pour survivre et non la haine, que c'est la gentillesse qui a la force pour vivre et pour fructifier, et non la simple brutalité et la simple force physique.

L'autre grande idée que le monde veut de nous aujourd'hui, que veut la partie pensante de l'Europe, non, le monde entier - plus peut-être les classes inférieures que les classes supérieures, plus l'ignorant que l'éduqué, plus le faible que le fort - c'est cette grande idée éternelle de l'unité spirituel de l'univers entier. Je n'ai pas besoin de vous dire aujourd'hui, hommes de l'Université de Madras, comment les recherches modernes de l'Occident ont démontré par des moyens physiques l'unité et la solidarité de tout l'univers; comment, physiquement parlant, vous et moi, le soleil, la lune et les étoiles, ne sommes que de petites vagues ou vaguelettes au sein d'un océan infini de matière; comment la psychologie indienne a démontré il y a des âges que, de la même manière, corps et mental ne sont que de simples noms ou de petites vaguelettes dans l'océan de matière, le Samasthi, et comment, allant un pas plus loin, il a été aussi montré dans le Vedanta que, derrière cette idée de l'unité de tout le spectacle, l'Âme réelle est une. Il n'y a qu'une seule Âme dans tout l'univers, tout n'est qu'Une Seule Existence. Cette grande idée de la solidarité réelle et basique de l'univers entier en a effrayé beaucoup, même dans ce pays; elle trouve même maintenant quelquefois plus d'opposants que d'adhérents; je vous dis néanmoins que c'est la grande idée donneuse de vie que le monde veut de nous aujourd'hui, et que les masses muettes de l'Inde veulent pour leur élévation, car nul ne peut régénérer ce pays qui est le nôtre sans l'application pratique et l'opération effective de cet idéal de l'unité des choses. L'Occident rationnel est sérieusement porté à rechercher la rationalité, la raison d'être de toute sa philosophie et de toute son éthique, et vous savez tous bien que l'éthique ne peut venir de la simple sanction d'un personnage, quelque grand et divin qu'il puisse avoir été. Une telle explication de l'autorité de l'éthique ne dit plus rien aux plus grands penseurs du monde; ils veulent quelque chose de plus qu'une sanction humaine pour que soient fixés les codes moraux et éthiques, ils veulent un principe éternel de vérité comme sanction de l'éthique. Et où peut-on trouver cette sanction éternelle si ce n'est dans la seule Réalité Infinie qui existe en vous, en moi et en tous, dans le Soi, dans l'Âme ? L'unité infinie de l'Âme est la sanction éternelle de toute moralité, que vous et moi sommes non seulement frères - toute littérature qui exprime la lutte de l'homme vers la liberté a prêché cela pour vous - mais que vous et moi sommes réellement un. Cela est l'exigence de la philosophie indienne. Cette unité est le raisonnement de toute éthique et de toute spiritualité. L'Europe la veut aujourd'hui tout autant que nos masses opprimées, et ce grand principe forme même inconsciemment maintenant la base de toutes les toutes dernières aspirations politiques et sociales qui apparaissent en Angleterre, en Allemagne, en France et en Amérique. Et notez cela, mes amis : dans toute la littérature qui parle de la lutte de l'homme pour la liberté, pour la liberté universelle, vous trouverez toujours les idées Védantiques Indiennes qui en sortent de manière proéminante. Dans certains cas les écrivains ne connaissent pas la source de leur inspiration, dans d'autres cas ils essayent d'apparaître très originaux, et ils sont peu à être assez courageux et reconnaissants pour mentionner la source et reconnaître leur dette envers elle. Quand j'étais en Amérique, j'ai un jour entendu la plainte selon laquelle je prêchais trop le Vedanta et trop peu le dualisme. Oui, je sais quelle grandeur, quels océans d'amour, quelles bénédictions infinies et extatiques et quelle joie se trouvent dans les théories dualistes bien-aimées de culte et de religion. Je sais tout cela.. Mais ce n'est pas pour nous le moment de pleurer, même de joie; nous avons eu assez à pleurer; ce n'est plus le temps pour nous de devenir doux. Nous avions avec nous cette douceur jusqu'à ce que nous soyons devenus des masses de coton et que nous soyons morts. Ce que veut maintenant notre pays, ce sont des muscles de fer et des nerfs d'acier, de gigantesques volontés auxquelles rien ne peut résister, qui peuvent pénétrer dans les mystères et les secrets de l'univers, et qui atteindront leur but d'une manière ou d'une autre, même si cela signifie descendre jusqu'au fond de l'océan et y rencontrer la mort face à face. Voilà ce que nous voulons, et cela ne peut être créé, établi et renforcé qu'en comprenant et en réalisant l'idée de l'Advaita, cet idéal de l'unité de tout. Foi, foi, foi en nous-mêmes; foi, foi en Dieu : c'est le secret de la grandeur. Si vous avez foi dans tous les trois cent trente millions de vos dieux mythologiques, et dans tous les dieux que les étrangers ont de temps à autre introduits parmi nous et que vous n'avez toujours pas foi en vous-même, il n'y a pas de salut pour vous. Ayez foi en vous-mêmes, levez-vous à partir de cette foi et soyez forts; c'est ce dont nous avons besoin.Comment se fait-il que nous, qui sommes trois cent trente millions (1) ayons été gouvernés pendant le dernier millier d'années par une poignée d'étrangers qui ont choisi de marcher sur nos corps étendus ? Parce qu'ils avaient foi en eux-mêmes et que nous ne l'avions pas. Qu'ai-je appris en Occident et qu'ai-je vu derrière ces paroles creuses des sectes chrétiennes qui répètent que l'homme est un pêcheur qui a chu et qui a chu sans espoir ? Là, j'ai vu que dans les coeurs nationaux de l'Europe et de l'Amérique réside le pouvoir formidable de la foi des hommes en eux-mêmes. Un garçon anglais vous dira : "Je suis anglais, et je peux tout faire." Le garçon américain vous dira la même chose, et de même le garçon européen. Vos garçons peuvent-ils dire la même chose ici ? Non, pas même les pères des garçons. Nous avons perdu foi en nous-mêmes. C'est pourquoi, pour prêcher l'aspect Advaita du Vedanta, il est nécessaire d'éveiller le coeur des hommes, de leur montrer la gloire de leur âme. C'est pourquoi je prêche cet Advaita, et je le fais non comme un sectaire, mais sur des bases universelles et très acceptables.

Il est facile de trouver la voie de la réconciliation qui ne heurtera pas le dualiste ou le moniste qualifié. Il n'y a pas un seul système en Inde qui ne retienne la doctrine que Dieu est au-dedans, que la Divinité réside en toutes les choses. Chacun de nos systèmes védantiques admet que toute pureté, toute perfection et toute force sont déjà dans l'Âme. Selon certains, cette perfection devient quelquefois pour ainsi dire contractée et d'autres fois elle s'épanche de nouveau. Mais elle est pourtant là. Selon l'Advaïta, elle ne se contracte ni ne s'épanche, mais elle devient cachée ou se découvre, de temps à autre. A peu près la même chose en fait. L'une peut être un énoncé plus logique que l'autre, mais pour ce qui est du résultat, des conclusions pratiques, les deux sont à peu près les mêmes; et cela est la même idée centrale dont a besoin de monde, et nulle part le besoin n'est ressenti plus que dans ce pays, dans notre terre-mère. Oui, mes amis, je dois vous dire quelques dures vérités. Je lis dans les journaux comment, quand l'un de nos pauvres camarades est assassiné ou maltraité par un anglais, des hurlements se produisent dans tout le pays; je lis et je pleure, et juste après la question me vient à l'esprit de savoir qui est responsable de tout cela ? En tant que Vedantin, je ne peux que me poser la question à moi-même. L'Hindou est un homme d'introspection, il veut voir les choses à l'intérieur et à travers lui, à travers la vision subjective. Je me demande donc qui est responsable; et la réponse vient tout le temps : pas les Anglais; non ils ne sont pas responsables; c'est nous qui sommes responsables de toute notre misère et de toute notre dégradation, et nous seuls sommes responsables. Nos ancêtres aristocrates ont foulé aux pieds les masses de notre pays jusqu'à ce qu'elles deviennent impuissantes, jusqu'à ce que sous ce tourment le pauvre, le pauvre peuple oublie presque qu'ils étaient des êtres humains. Ils ont été contraints de n'être que de simples coupeurs de bois et tireurs d'eau pendant des siècles, tant qu'ils finirent par croire qu'ils étaient nés comme esclaves, comme coupeurs de bois et comme tireurs d'eau. Avec toute notre éducation vantarde des temps modernes, si quelqu'un dit une parole gentille envers eux, je vois souvent nos hommes reculer tout de suite devant le devoir de les relever, ces pauvres gens opprimés. Pas seulement cela, mais je vois aussi que toutes sortes d'arguments extrêmement démoniaques et brutaux, cueillis dans les grossières idées de la transmission hériditaire, ainsi qu'un charabias venant du monde occidental, sont mis en avant pour brutaliser et tyranniser les pauvres, encore plus. Au Parlement des Religions en Amérique, parmi d'autres, est venu un jeune homme, né Noir, un véritable Africain Noir; et il a fait un discours magnifique. Je me suis mis à m'intéresser au jeune homme, et de temps en temps je lui ai parlé, mais je n'ai pu rien apprendre sur lui. Mais un jour en Angleterre, j'ai rencontré des américains, et voici ce qu'ils m'ont dit. Que ce garçon était le fils d'un chef Noir qui vivait au coeur de l'Afrique, et qu'un jour un autre chef s'est mis en colère contre le père de cet enfant , qu'il l'a assassiné ainsi que la mère, qu'il les a faits cuire et les a mangés; il a donné l'ordre que l'enfant soit aussi tué, cuit et mangé, mais le garçon s'est enfui et après être passé au travers de grandes épreuves et avoir voyagé plusieurs centaines de kilomètres, il a atteint la côte et il y fut pris par un navire américain et amené en Amérique. Et ce garçon a fait ce discours ! Après cela, que devais-je penser de votre doctrine de l'hérédité ! Oui, Brah-manes, si le brahmane a plus d'aptitude pour le savoir que le pariah du fait de l'hérédité, ne dépensez plus d'argent pour l'éducation du brahmane mais dépensez tout pour celle du paria. Donnez au faible, car il y a là besoin du don entier. Si le brahmane est né plus intelligent il peut s'éduquer lui-même sans aide. Si les autres ne sont pas nés intelligents, qu'ils aient toute l'éducation et tous les enseignants qu'ils veulent. Cela est justice et raison comme je les comprends.

C'est pourquoi notre pauvre peuple, ces masses opprimées de l'Inde, demandent d'entendre et de connaître ce qu'elles sont réellement. Oui, que chaque homme, chaque femme et chaque enfant, quelle que soit sa caste ou sa naissance, sa faiblesse ou sa force, entende et apprenne que derrière le fort et le faible, derrière le haut et le vil, derrière chacun se trouve l'Âme Infinie, qui affirme la possibilité infinie et la capacité infinie de tous à devenir grands et bons. Proclamons à chaque âme : Uttashthata jagrâta prâpya varannibhogata - Levez-vous ! Réveillez-vous et n'arrêtez pas jusqu'à ce que le but soit atteint. Levez-vous ! Réveillez-vous ! Réveillez-vous de cet hypnotisme de faiblesse. Nul n'est réellement faible : l'âme est infinie, omnipotente et omnisciente. Debout, affirmez-vous, proclamez le Dieu qui est en vous, ne Le niez pas ! Il y a eu et il y a sur notre race trop d'inactivité, trop de faiblesse, trop d'hypnotisme. Oh vous, Hindous modernes, déshypnotisez-vous. Le moyen de le faire se trouve dans vos propres livres sacrés. Enseignez vous à vous-mêmes, apprenez à chacun sa véritable nature, appelez l'âme qui sommeille et voyez comment elle s'éveille. La puissance viendra, la gloire viendra, la bonté viendra, et tout ce qui est excellent viendra lorsque cette âme en sommeil s'éveillera à son activité consciente d'elle-même. Oui, s'il y a quelque chose que j'aime dans la Gîta, ce sont ces deux versets, ressortant fortement comme le fond même, l'essence même de l'enseignement de Krish-na : "Celui qui voit le Seigneur Suprême résider en tous les êtres de la même manière, comme l'Impérissable dans les choses qui périssent, celui là en vérité voit. En voyant ainsi le Seigneur, partout présent, il ne détruit pas le Soi par le soi, et il arrive ainsi au but le plus élevé."

Il y a ainsi une grande ouverture pour que le Vedanta fasse un travail bienfaisant à la fois ici et ailleurs. Cette idée merveilleuse de l'identité et de l'omniprésence de l'Âme Suprême doit être prêchée pour l'amélioration et l'élévation de la race humaine, ici et ailleurs. Partout où se trouve le mal et partout où se trouve l'ignorance et le manque de connaissance, j'ai trouvé par expérience que tout mal provient, comme le disent nos Ecritures, des différences et que tout bien provient de la foi dans l'égalité, dans l'identité et dans l'unité sous-jacentes des choses. C'est le grand idéal Védantique. Avoir l'idéal est une chose et l'appliquer de manière pratique jusqu'aux détails de la vie quotidienne est une tout autre chose. Il est très bon de montrer un idéal, mais où est la voie pratique pour l'atteindre ?

Ici se pose naturellement la question difficile et non résolue de la caste et de la réforme sociale qui a tenu pendant des siècles le premier rang dans l'esprit de notre peuple. Je dois franchement vous dire que je ne suis ni un briseur de caste ni un simple réformateur social. Je n'ai directement rien à faire avec vos castes ou votre réforme sociale. Vivez dans la caste que vous voulez, mais il n'y a aucune raison de haïr un autre homme ou une autre caste. C'est l'amour et l'amour seul que je prêche, et je base mon enseignement sur la grande vérité Védantique de l'identité et de l'omniprésence de l'Âme de l'Univers. Pendant pratiquement les cent dernières années, notre pays a été inondé de réformateurs sociaux et de diverses propositions de réformes sociales. Je n'ai personnellement aucune faute à trouver à ces réformateurs. La plupart d'entre eux sont des hommes bons, bien intentionnés, et leurs buts sont aussi très louables à certains égards, mais c'est un fait tout à fait patent que cette centaine d'années de réformes sociales n'a produit aucun résultat permanent et valable notable dans tout le pays. Des discours ont été fait par des milliers à la tribune, des dénonciations ont été lancées par volumes sur la tête dévouée de la race hindoue et sur sa civilisation, et pourtant aucun bon résultat pratique n'a été atteint; et quelle en est la raison ? La raison n'est pas difficile à trouver. Elle est dans la dénonciation même. Comme je vous l'ai dit auparavant, nous devons tout d'abord essayer de garder notre caractère historiquement acquis en tant que peuple. Je vous accorde qu'il nous faut prendre énormément de choses des autres nations, qu'il nous faut apprendre de nombreuses leçons de l'extérieur; mais je suis désolé de dire que la plupart de nos mouvements modernes de réformes ont été des imitations inconsidérées des moyens et des méthodes de travail occidentaux, et que cela n'a en toute certitude rien à faire avec l'Inde; c'est pourquoi tous nos mouvements récents de réforme n'ont eu aucun résultat. En second lieu, la dénonciation n'est pas du tout la voie pour faire le bien. Qu'il y ait des maux dans notre société, même un enfant peut le voir, et dans quelle société n'y a-t-il pas de maux ? Et, mes chers compatriotes, permettez-moi de saisir cette occasion pour vous dire qu'en comparant les différentes races et les différentes nations du monde dans lesquelles je me suis trouvé, j'en suis venu à la conclusion que notre peuple est dans l'ensemble le peuple le plus moral et le plus pieux, et que nos institutions sont, dans leur plan et leur but, les plus à même de rendre l'humanité heureuse. C'est pourquoi je ne veux aucune réforme. Mon idéal est la croissance, l'expansion, le développement, suivant des lignes nationales. Quand je jette un regard en arrière sur l'histoire de mon pays, je ne trouve nulle part dans le monde entier un autre pays qui ait autant fait pour le perfectionnement de l'esprit humain. Aussi n'ai-je aucune parole de condamnation envers mon pays. Je leur dit : "Vous avez bien fait; essayez seulement de faire mieux." De grandes choses ont été réalisées dans ce pays par le passé, et il y a à la fois du temps et de l'espace pour faire encore de plus grandes choses. Je suis sur que vous savez que nous ne pouvons pas rester immobiles. Si nous restons immobiles nous mourons. Nous devons ou aller de l'avant ou aller en arrière. Nous devons ou progresser ou dégénérer. Nos ancêtres ont fait de grandes choses dans le passé, mais nous devons évoluer en une vie plus pleine et marcher au-delà même de leurs grandes réalisations. Comment pourrions-nous retourner en arrière maintenant et dégénérer ? Cela ne peut être; cela ne doit pas être; retourner en arrière conduirait à la dégénérescence et à la mort nationales. Allons donc de l'avant et faisons de plus grandes choses encore; c'est ce que j'ai à vous dire. Je ne suis pas prêcheur d'une réforme sociale momentanée. Je n'essaie pas de remédier aux maux; je vous demande seulement d'aller de l'avant et de compléter la réalisation pratique du plan du progrès humain que nos ancêtres ont tracé dans l'ordre le plus parfait. Je vous demande seulement de travailler pour réaliser de plus en plus l'idéal Védantique de la solidarité de l'homme et de sa nature divine innée. Si j'avais eu le temps, je vous aurais montré avec joie comment tout ce que nous avons à faire maintenant a été tracé il y a des années par nos anciens législateurs et comment ils ont réellement anticipé tous les différents changements qui ont pris place et qui doivent encore prendre place dans nos institutions nationales. Eux aussi étaient des briseurs de caste, mais ils n'étaient pas comme nos hommes modernes. Ils n'entendaient pas par bris de caste le fait que tous les gens d'une ville doivent s'asseoir ensemble pour un dîner au boeuf et au champagne, ni que tous les fous et les aliénés du pays doivent se marier au moment qu'ils choisissent, à l'endroit qu'ils choisissent et avec qui ils choisissent et réduire le pays en un asile d'aliénés, et il ne croyaient pas que la prospérité de la nation doive se mesurer au nombre de maris qu'obtiennent ses veuves. J'ai encore à voir une nation prospère de ce genre.

L'homme idéal de nos ancêtres était le Brahmane. Cet idéal du Brahmane ressort de manière proéminente de tous nos livres. En Europe, il y a Monseigneur le Cardinal, qui se donne beaucoup de mal et qui dépense des milliers de livres pour prouver la noblesse de ses ancêtres, et il ne sera pas satisfait tant qu'il n'aura pas fait remonter son arbre généalogique à quelque terrible tyran qui vivait sur une colline et regardait passer les gens et qui, à chaque fois qu'il en avait l'occasion, bondissait sur eux et les volait. Telles étaient les affaires de ces ancêtres, affaires qui conféraient la noblesse, et Monseigneur le Cardinal n'est pas content tant qu'il ne peut pas faire remonter son arbre généalogique à l'un d'entre eux. En Inde de l'autre côté les plus grands princes cherchent à faire remonter leur famille à un ancien sage, qui se vêtait d'un morceau de tissu, vivait dans la forêt en mangeant des racines et en étudiant les Vedas. C'est là que le prince indien va pour retrouver ses ancêtres. Vous êtes de la caste la pus haute quand vous pouvez faire remonter votre famille à un Rishi, et pas autrement. C'est pourquoi notre idéal de haute naissance est différent de celui des autres. Notre idéal est le Brahmane de culture spirituelle et de renonciation. Qu'est-ce que j'entends par idéal du Brahmane ? J'entends la Brahman-ité idéale dans laquelle le matérialisme est totalement absent et où la véritable sagesse est abondamment présente. C'est l'idéal de la race hindoue. N'avez-vous pas entendu comme il est déclaré que lui, le Brahmane, n'est pas soumis à la loi, qu'il n'a pas de loi, qu'il n'est pas gouverné par les rois et que son corps ne peut pas être blessé ? C'est parfaitement vrai. N'entendez pas cela à la lumière qu'ont jeté dessus des fous intéressés et ignorants, mais comprenez le à la lumière de la véritable conception Védantique originelle. Si le Brahmane est celui qui a tué tout égoïsme et qui vit et travaille pour acquérir et propager la sagesse et le pouvoir de l'amour, si un pays est entièrement habité par de tels Brahmanes, par des hommes et des femmes spirituels, moraux et bons, est-il étrange de penser à ce pays comme à un pays au-dessus et au-delà de toute loi ? Quelle police, quelle armée sont nécessaires pour les gouverner ? Pourquoi quelqu'un devrait-il les gouverner tous ? Pourquoi devraient-il vivre sous un gouvernement ? Ils sont bons et nobles, et ce sont les hommes de Dieu; ceux-là sont nos Brahmanes idéaux, et nous lisons que dans le Satya Yuga il n'y avait qu'une seule caste et que c'était la caste des Brahmanes. Nous lisons dans le Mahabharata qu'au commencement le monde entier était peuplé de Brahmanes, et qu'ils se sont divisés en différentes castes quand ils ont commencé à dégénérer, et que quand le cycle sera complet ils retourneront tous à cette origine Brahmanique. Ce cycle tourne maintenant, et j'attire votre attention sur ce fait. Aussi notre solution à la question de la caste n'est-elle pas avilissante pour ceux qui sont déjà des personnages importants, elle ne sort pas de nos limites en vue d'un plus grand plaisir, mais par chacun d'entre nous elle vient réaliser les ordres de notre religion Védantique, par notre atteinte de la spiritualité et par le fait que nous devenions le Brahmane idéal. Il y a une loi pour chacun d'entre nous qui a dans ce pays été couchée par nos ancêtres, que vous soyez Aryas ou non-Aryas, Rishis, Brahmanes ou hors castes les plus vils. L'ordre est le même pour vous tous, vous devez progresser sans arrêter, et cela de l'homme le plus élevé jusqu'au pariah le plus vil, chacun dans ce pays doit essayer de devenir et doit devenir le Brahmane idéal. Cette idée Védantique n'est pas seulement applicable ici mais dans le monde entier. Tel est notre idéal de caste, considéré pour élever lentement et doucement et l'humanité entière vers la réalisation de ce grand idéal de l'homme spirituel, qui est non-résistant, calme, stable, honorable, pur et méditatif. Dieu se trouve dans cet idéal.

Comment provoquer cela ? Je dois de nouveau attirer votre attention sur le fait que maudire, calomnier et maltraiter ne produit pas et ne peut produire quoique ce soit de bon. Ces choses ont été essayées pendant des années et des années, et aucun résultat valable n'a été obtenu. De bons résultats ne peuvent être produits qu'au travers de l'amour, qu'au travers de la sympathie. C'est un grand sujet, et il faudrait plusieurs conférences pour éclaircir tous les plans que j'ai en vue, et toutes les idées qui viennent à mon esprit jour après jour à ce propos. Aussi je dois conclure, en vous rappelant seulement ce fait, que ce navire qu'est notre nation, ô Hindous, a navigué pendant des âges. Aujourd'hui, une fuite a peut-être surgi; aujourd'hui, il est peut-être devenu un peu usé, et si tel est le cas, il nous appartient à vous et à moi de faire de notre mieux pour arrêter la fuite et pour boucher les trous. Parlons du danger à nos compatriotes, qu'ils se réveillent et nous aident. Je vais crier à tue-tête d'un côté à l'autre du pays, pour éveiller les gens à leur situation et à leur devoir. S'ils ne m'entendent pas, je n'aurais pourtant pas un seul mot d'injure à leur égard, ni une seule parole de malédiction. Grand a été le travail de notre nation dans le passé, et si nous ne pouvons pas faire de plus grandes choses à l'avenir, ayons cette consolation de pouvoir couler et périr ensemble en paix. Soyez des patriotes, aimez la race qui a fait de si grandes choses pour nous dans le passé. Oui, plus je compare les distinctions et plus je vous aime, mes amis compatriotes, vous êtes bons, purs et doux. Vous avez toujours été tyrannisés, et telle est l'ironie de ce monde matériel de Maya. Peu importe cela, l'Esprit triomphera à long terme. En attendant, travaillons et n'injurions pas notre pays, ne maudissons pas et n'injurions des institutions dégradées par le temps et usées par le travail de notre pays natal trois fois saint. N'ayez aucun mot de condamnation, même pour la plus superstitieuse et la plus irrationnelle de ces institutions, car elles ont du aussi faire quelque bien dans le passé. Rappelez-vous toujours qu'il n'y a pas d'autre pays dans le monde dont les institutions soient réellement meilleures dans leurs buts et leurs objectifs que les institutions de ce pays. J'ai vu des castes dans pratiquement chaque pays du monde, mais leur plan et leur objet n'est nulle part aussi glorieux qu'ici. Si la caste est ainsi inévitable, je préférerais plutôt avoir une caste de pureté, de culture et de sacrifice de soi qu'une caste de dollars. Aussi n'exprimez aucune parole de condamnation.. Fermez les lèvres et ouvrez vos coeurs. Travaillez au salut de ce pays et du monde entier, chacun de vous pensant que le fardeau entier se trouve sur vos épaules. Portez la lumière et la vie du Vedanta à chaque porte, et réveillez la divinité qui est cachée en chaque âme. Puis, quelque puisse être la mesure de votre réussite, vous aurez cette satisfaction d'avoir vécu, travaillé et d'être morts pour une grande cause. Dans la réussite de cette cause, de quelque manière qu'elle ait été occasionnée, le salut de l'humanité ici et après se trouve au centre.

 

(1) Prendre les terme 'hindous, race et religion' au sens large du terme : la race des hindous et la race de ceux qui vivent selon le Sanatana Dharma ou Loi Cosmique. Ne pas prendre le terme 'race' au sens de 'couleur de peau' etc. Mais n'oublions pas que Swamiji s'adresse ici à des Hindous de l'Inde, grande majorité des habitants de cette terre qui ne vivent pas selon des dogmes enseignés, et c'est en Inde que repose encore la flamme du Vedanta. Par 'race', il faut entendre 'race culturelle.'

(2) Swami Vivekananda lui-même.

(3) Aujourd'hui un milliard.