Swami VIVEKANANDA

RAISON ET RELIGION

 

(traduction : Gaura Krishna)

(Donnée à Londres)

Un sage nommé Narada est allé voir un autre sage appelé Sanatkumara pour apprendre quelque chose sur la vérité, et Sanatkumara s'informa de ce qu'il avait déjà étudié. Narada répondit qu'il avait étudié les Vedas, l'astronomie et diverses autres choses mais que cela ne lui avait pourtant pas donné satisfaction. Il y eut ensuite une conversation entre les deux au cours de laquelle Sanatkumara remarqua que toute cette connaissance des Vedas, de l'astronomie et de la philosophie n'était que secondaire. Ce qui nous faisait réaliser le Brahman était la connaissance suprême, la connaissance la plus élevée. Nous trouvons cette idée dans toute religion, et c'est pourquoi la religion clame toujours être la connaissance suprême. La connaissance des sciences ne couvre, pour ainsi dire, qu'une partie de notre vie, mais la connaissance que nous apporte la religion est éternelle, aussi infinie que la vérité qu'elle prêche. Clamant cette supériorité, les religions ont de nombreuses fois, malheureusement, méprisé toute cette connaissance profane, et non seulement cela, mais elles ont maintes fois refusé d'être justifiées à l'aide de la connaissance profane. De ce fait il y a eu des combats dans le monde entier entre connaissance profane et connaissance religieuse, l'une clamant avoir l'autorité infaillible pour guide, refusant d'écouter quoi que ce soit que la connaissance profane avait à dire là-dessus, et l'autre, avec son instrument brillant de la raison, voulant mettre en pièces tout ce que la religion pouvait avancer. Cette lutte a été menée et est encore menée dans tous les pays. Les religions ont été maintes fois défaites et pratiquement exterminées. L'adoration de la déesse de la Raison pendant la Révolution Française n'a pas été la première manifestation de ce phénomène dans l'histoire de l'humanité, elle a été une re-représentation de ce qui était arrivé dans les anciens temps, mais dans les temps modernes elle a assumé de plus grandes proportions. Les sciences physiques sont maintenant mieux équipées qu'auparavant et les religions sont devenues de moins en moins équipées. Les fondations ont toutes été sapées et l'homme moderne, quoi qu'il puisse dire en public, sait dans l'intimité de son coeur qu'il ne peut plus "croire". Croire certaines choses parce qu'un corps organisé de prêtres lui dit de croire, croire parce que c'est écrit dans certains livres, croire parce que son peuple aime qu'il croie, l'homme moderne sait que çà lui est impossible. Il y a bien entendu un certain nombre de gens qui semblent d'accord avec la soi-disant foi populaire, mais nous sommes aussi certains qu'ils ne le pensent pas. Leur idée de croyance peut être mieux traduite en "non-pensée - insouciance". Ce combat ne peut durer plus longtemps sans mettre en pièces tout l'édifice de la religion.

La question est : Y a-t-il une issue ? Pour la poser sous une forme plus concrète : La religion va-t-elle se justifier par les découvertes de la raison au travers desquelles toute autre science se justifie ? Les mêmes méthodes d'investigation, que nous appliquons aux sciences et à la connaissance extérieures, vont-elles s'appliquer à la science de la Religion ? A mon avis il doit en être ainsi, et je suis aussi de l'opinion que plus tôt cela sera fait et mieux cela vaudra. Si une religion est détruite par de telles investigations, c'est qu'elle aura toujours été une superstition inutile et indigne; et plus vite elle s'en ira et mieux cela vaudra. Je suis tout à fait convaincu que sa destruction sera la meilleure chose qui puisse arriver. Tout ce qui est rebut doit sans aucun doute être enlevé, mais les parties essentielles de la religion sortiront triomphantes de cette investigation. Non seulement elle sera rendue scientifique - au moins aussi scientifique que toute conclusion de la physique ou de la chimie - mais elle aura une plus grande force, parce que la physique et la chimie n'ont aucun mandat interne, qu'a la religion, pour témoigner de sa vérité.

Les gens qui nient toute efficacité de l'investigation rationnelle dans la religion me semblent se contredire quelque peu. Par exemple, le chrétien clame que sa religion est la seule vraie parce qu'elle a été révélée à Untel. Mais le chrétien dit au mahométan : " Certaines parties de votre éthique ne semblent pas justes. Vos livres disent par exemple, cher ami mahométan, qu'un infidèle peut être converti à la religion de Mohammed par la force, et que s'il n'accepte pas la religion mahométane il peut être tué; et que tout mahométan qui tue un tel infidèle obtiendra une entrée certaine au paradis, quels qu'aient pu être ses péchés ou ses mauvaises actions." Le mahométan rétorquera en disant : " Il est juste pour moi de le faire, parce que mon livre m'enjoint de le faire. Ce serait mal de ma part de ne pas le dire. " Le Chrétien dit : "Mais mon livre ne dit pas cela. " Le mahométan répond : "Je ne sais pas; je ne suis pas lié par l'autorité de votre livre ; mon livre dit : " Tue tous les infidèles. " Comment savez-vous ce qui est bien et ce qui est mal ? Ce qui est écrit dans mon livre est juste et ce que dit votre livre : "Ne tue pas", est faux. Vous dites aussi la même chose, mon cher ami Chrétien; vous dites qu'il est juste de faire ce que Jéhovah a déclaré aux Juifs, et qu'il est mal de faire ce qu'il leur a interdit. De même je dis qu'Allah a déclaré dans mon livre que certaines choses doivent être faites et que certaines choses ne doivent pas l'être, et que c'est toute l'épreuve du vrai et du faux. " Malgré cela le chrétien n'est pas satisfait; il insiste en comparant la moralité du Sermon sur la Montagne à la moralité du Coran. Comment cela va-t-on résoudre cela ? Certainement pas par les livres, parce que les livres, se combattant les uns les autres, ne peuvent pas être les juges. Nous devons alors décidément admettre qu'il y a quelque chose de plus universel que ces livres, quelque chose de plus élevé que tous les codes d'éthique qui existent dans le monde, quelque chose capable de juger entre la force des inspirations de nations différentes. Que nous le déclarions hardiment, clairement, ou non, il est évident que nous en appelons à la raison.

La question se pose maintenant de savoir si cette lumière de la raison peut juger entre inspiration et inspiration, et si cette lumière peut soutenir son niveau lorsque la querelle se déroule entre prophète et prophète, si elle a le pouvoir de comprendre quoi que ce soit en matière de religion. Si elle ne l'a pas, rien ne peut résoudre le combat sans espoir des livres et des prophètes qui a continué à travers les âéges; car cela veut dire que toutes les religions ne sont que de simples mensonges, désespérément contradictoires, sans aucune idée constante d'éthique. La preuve de la religion repose sur la vérité de la constitution de l'homme, et non sur quelque livre que ce soit. Ces livres sont les sorties, les effets de la constitution de l'homme; l'homme a fait ces livres. Nous voyons pourtant les livres qui ont fait l'homme. La raison est également un effet de cette cause commune, la constitution de l'homme, où doit se faire notre appel. Et pourtant, comme la raison seule est directement liée à cette constitution, on doit y avoir recours, aussi longtemps qu'elle la suit fidèlement. Qu'est-ce que j'entends par raison ? J'entends ce que tout homme ou femme éduqué veut faire actuellement, appliquer les découvertes de la connaissance profane à la religion. Le premier principe du raisonnement est que le particulier s'explique par le général, le général par le plus général jusqu'à ce que nous arrivions à l'universel. Nous avons par exemple l'idée de loi. Si quelque chose arrive et que nous croyons que c'est l'effet de telle ou telle loi, nous sommes satisfaits; c'est pour nous une explication. Ce que nous entendons par cette explication est qu'il est prouvé que cet effet unique, qui nous a mécontenté, n'est qu'une occurrence particulière parmi la masse des occurrences que nous désignons par le mot " loi ". Lorsqu'une pomme est tombée, Newton a été perturbé ; mais quand il a vu que toutes les pommes tombaient, c'était la gravitation et il a été content. Cela est un principe de la connaissance humaine. Je vois un être particulier, un être humain, dans la rue. Je le rapporte à la plus grande conception de l'homme et je suis content ; je sais qu'il est un homme en le rapportant au plus général. Les particuliers doivent ainsi être rapportés au général, le général au plus général, et à la fin tout à l'universel, au dernier concept que nous ayons, le plus universel, celui de l'existence. L'existence est le concept le plus universel.

Nous sommes tous des êtres humains; cela signifie que chacun d'entre nous, pour ainsi dire, est une partie particulière du concept général, l'humanité. Un homme, un chat, et un chien sont tous des animaux. Ces exemples particuliers, homme, chien, ou chat, sont des parties d'un concept plus grand et plus général, celui de l'animal. L'homme, le chat, le chien, la plante, l'arbre, tous rentrent dans le concept encore plus général, la vie. De même, tous ceux-là, tous les êtres et toutes les matières rentrent dans le concept de l'existence, car nous sommes tous en elle. Cette explication signifie simplement rapporter le particulier à un concept plus élevé, en trouver plus du même genre que lui. Le mental a accumulé de nombreuses classes de généralisations de la sorte. Il est, pour ainsi dire, plein de cases où toutes ces idées sont regroupées, et à chaque fois que nous voyons une nouvelle chose le mental essaie immédiatement de trouver son type dans une de ces cases. Si nous le trouvons, nous y mettons la nouvelle chose et nous sommes contents, et on dit de nous que nous avons connu la chose. C'est ce que l'on entend par connaissance, et pas plus. Et si nous ne trouvons pas qu'il y a une chose comme elle, nous sommes mécontents et nous devons attendre jusqu'à ce que nous trouvions pour elle une classification supplémentaire, qui existe déjà dans le mental. Aussi, comme je l'ai déjà souligné, connaissance est plus ou moins classification. Il y a quelque chose de plus. Une seconde explication de la connaissance est que l'explication d'une chose doit venir de l'intérieur et non de l'extérieur. La croyance a existé que lorsqu'un homme jetait une pierre et qu'elle tombait, un démon la faisait descendre. Beaucoup d'évènements qui en réalité sont des phénomènes naturels sont attribués à des êtres non naturels par les gens. Q'un esprit a fait tombé la pierre était une explication qui ne se trouvait pas dans la chose elle-même, c'était une explication qui venait de l'extérieur; mais la seconde explication de la gravitation est quelque chose qui est dans la nature de la pierre; l'explication vient de l'intérieur. Vous trouverez cette tendance dans toute la pensée moderne ; en un mot, ce que l'on entend par science est que les explications des choses se trouvent dans leur propre nature, et qu'il n'est besoin d'aucuns êtres ou existences extérieures pour expliquer ce qui se passe dans l'univers. Le chimiste n'a jamais besoin de démons ni d'esprits ni de quoi que ce soit du même genre pour expliquer ses phénomènes. Le physicien n'a jamais besoin de qui que ce soit pour expliquer les choses qu'il connaît, de même qu'aucun autre scientifique. Et cela est une des caractéristiques de la science que j'entends appliquer à la religion. On voit que les religions en manquent et c'est pourquoi elles tombent en morceaux. Toute science veut ses explications de l'intérieur, de la nature même des choses; et les religions ne sont pas capables de les fournir. Il y a une ancienne théorie de la déité personnelle complètement séparée de l'univers qui a été soutenu depuis les temps les plus anciens. Les arguments en sa faveur ont été maintes fois répétés, comment il est nécessaire d'avoir un Dieu complètement séparé de l'uni vers, une déité extra cosmique qui a créé l'univers à partir de sa volonté, et que la religion conçoit comme son souverain. A part tous ces arguments, nous voyons de Dieu Tout-puissant dépeint comme le Tout-miséricordieux, et en même temps les inégalités demeurent dans le monde. Ces choses ne concernent pas du tout le philosophe, mais il dit que le cœur de la chose était fausse; c'était une explication de l'extérieur et non de l'intérieur. Quelle est la cause de l'univers ? Quelque chose en dehors de lui, un être qui anime cet univers ! Et tout comme on l'a trouvé insuffisant pour expliquer le phénomène de la Pierre qui tombe, on a trouvé cela insuffisant pour expliquer la religion. Et les religions tombent en pièces, parce qu'elle ne peuvent pas donner une meilleure explication que celle-là.

Une autre idée reliée à celle-ci - la manifestation du même principe, que l'explication de toute chose vient du dedans de cette chose - est la loi moderne de l'évolution. Toute la signification de l'évolution est simplement que la nature d'une chose est reproduite, que l'effet n'est- rien d'autre que la cause sous une autre forme, que toutes les potentialités de l'effet étaient présentes dans la cause, que l'entièreté de la création n'est qu'une évolution et non une création. Cela veut dire que tout effet est une reproduction d'une cause précédente, simplement changé par les circonstance, et il en est ainsi dans tout l'univers, et nous n'avons pas besoin d'aller ho(r de l'univers pour chercher les causes de ces changements ; ils sont à l'intérieur. Il n'est pas nécessaire de chercher une cause à l'extérieur. Cela aussi démolit la religion. Ce que j'entends par démolir la religion, c'est que les religions qui ont soutenu l'idée d'une déité extra cosmique - qu'elle est un grand homme et rien de plus - ne peuvent plus tenir sur leurs pieds ; elles ont été renversées, pour ainsi dire.

Peut-il y avoir une religion qui satisfasse à ces deux principes ? Je pense qu'il peut y en avoir une. Nous avons vu en premier lieu que nous devons satisfaire au principe de généralisation. Le principe de généralisation doit être satisfait ainsi que le principe, de l'évolution. Nous devons arriver à une généralisation ultime, qui ne sera pas seulement la plus universelle de toutes les généralisations, mais de laquelle tout le reste doit sortir. Elle sera de la même nature que l'effet le plus bas; la cause, la cause la plus haute, la cause ultime, la cause originelle doit être la même que le plus bas et le plus distant de ses effets, une série d'évolutions. Le Brahman du Vedanta remplit cette condition, parce que Brahman est la dernière généralisation à laquelle on puisse arriver. Il n'a pas d'attributs mais est Existence, Connaissance et Béatitude - Absolu. L'Existence est, nous l'avons vu, la généralisation ultime même à laquelle le mental humain peut arriver. Connaissance ne signifie pas la connaissance que nous avons, mais l'essence de cette connaissance, celle qui s'exprime au cours de l'évolution chez les êtres humains ou chez les autres animaux en tant que connaissance. C'est l'essence de cette connaissance que l'on entend par là, le fait ultime au-delà même de la conscience, s'il est possible de s'exprimer ainsi. C'est ce que l'on entend par connaissance et que nous voyons dans l'univers comme unité essentielle des choses. Pour moi, si la science moderne prouve quelque chose et n'arrête pas de le prouver, c'est cela, que nous sommes un, mentalement, spirituellement et physiquement. Il est même faux de dire que nous sommes différents physiquement. Supposons que nous soyons matérialistes, par amour de l'argument, nous devrons en venir à ceci que l'univers entier n'est qu'un océan de matière dont vous et moi sommes comme des petits tourbillons. Des quantités de matière viennent dans chaque tourbillon, prenant la forme de tourbillon, et en ressortent de nouveau comme matière. La matière qui est en mon corps peut avoir été dans le vôtre il y a quelques années, ou dans le soleil, ou elle peut avoir été la matière de la plante, et ainsi de suite, dans un état continu de flux. Qu'entend-on par 'votre' corps et par 'mon' corps ? C'est l'unité du corps. De même en ce qui concerne la pensée. C'est un océan de pensée, une masse infinie, dans laquelle votre mental et mon mental sont comme des tourbillons. Ne voyez-vous pas l'effet maintenant, comment mes pensées entrent dans les vôtres et les vôtres dans les miennes ? La totalité de nos vies est une; nous sommes un, même en pensée. Pour en venir à une généralisation encore plus avant, l'essence de la matière et de la pensée est leur potentialité d'esprit; cela est l'unité d'où nous sommes tous venus, et elle doit essentiellement être unique. Nous sommes absolument un; nous sommes physiquement un, nous sommes mentalement un, et en tant qu'esprit cela va sans dire que nous sommes un, si toutefois nous croyons en l'esprit. Cette unité est le fait unique qui est chaque jour prouvé par la science moderne. Il est dit à l'homme orgueilleux : Tu es le même que ce petit ver là; ne pense pas que tu es quelque chose d'énormément différent de lui; tu es le même. C'est ce que tu as été dans ton incarnation précédente; et le ver a rampé vers le haut jusqu'à cette condition humaine dont tu es si fier. Ce grand sermon, l'unité des choses, qui nous fait un avec tout ce qui existe, est la grande leçon à apprendre, car la plupart d'entre nous est contente d'être rendue une avec des êtres supérieurs mais personne ne veut être rendu un avec des êtres inférieurs. Telle est l'ignorance humaine, que si nos ancêtres étaient des hommes que la société honorait, même c'étaient des brutes, des voleurs, même des barons voleurs, chacun d'entre nous essaiera de faire remonter sa lignée jusqu'à eux; mais si nous avons eu des gentlemen pauvres, honnêtes, personne ne veut faire remonter sa lignée jusqu'à eux. Mais les écailles tombent de nos yeux, la vérité commence à se manifester de plus en plus, et c'est un grand bénéfice pour la religion. C'est exactement l'enseignement de l'Advaita, sur lequel je suis en train de vous faire une conférence. Le Soi est l'essence de cet univers, l'essence de toutes les âmes; Il est l'essence de votre propre vie, non, " Tu es Cela ". Vous êtes un avec cet univers. Celui qui dit qu'il est différent des autres, même par la largeur d'un cheveu, devient immédiatement malheureux. Le bonheur appartient à celui qui connaît cette unité, qui sait qu'il est un avec cet univers.

Nous voyons ainsi que la religion du Vedanta peut satisfaire aux exigences du monde scientifique, en la rapportant à la généralisation la plus élevée et à la loi de l'évolution. Que l'explication d'une chose vient de l'intérieur d'elle-même est encore plus complètement rempli pr le Vedanta. Le Brahman, le Dieu du Vedanta, n'a rien en dehors de Lui-même ; rien du tout. En vérité tout cela est Lui : Il est dans l'univers, Il est Lui-même l'univers. " Tu es 'homme, Tu es la femme, Tu es le jeune homme qui marche dans la fierté de la jeunesse, Tu es le vieil homme qui titube. " Il est ici. Nous Le voyons et ressentons : en Lui nous vivons, nous mouvons et avons notre être. Nous avons cette conception dans le Nouveau Testament. C'est cette idée, de Dieu immanent dans l'univers, l'essence même, le coeur, l'âme des choses. Il Se manifeste, pour ainsi dire, dans cet univers. Vous et moi sommes des petits morceaux, des petits points, des petits canaux, des petites expressions, qui vivons tous à l'intérieur de cet océan infini d'Existence, de Connaissance et de Béatitude. La différence entre l'homme et l'homme, entre les anges et l'homme, entre l'homme et les animaux, entre les animaux et les plantes, entre les plantes et les pierre n'est pas une différence de genre, parce que chacun, de l'ange le plus élevé à la particule la plus vile de matière n'est qu'une expression de cet unique océan infini, et la différence n'est qu'une différence de degré. Je suis une faible manifestation, vous pouvez en être une plus élevée, mis dans les deux les matériaux sont les mêmes. Vous et moi sommes des écoulements du même canal, et ce canal est Dieu; en tant que tel, votre nature est Dieu, et elle est aussi la mienne. Vous êtes de la nature de Dieu de par votre droit de naissance; moi de même. Vous pouvez être un ange de pureté, et je peux être le plus noir des démons. Néanmoins on droit de naissance est cet océan infini d'Existence, de Connaissance et de Béatitude. De même est le vôtre. Vous vous êtes manifestés plus aujourd'hui. Attendez; je vais me manifester encore plus, car je l'ai entièrement en moi. On ne cherche aucune explication étrangère ; on n'en demande aucune. La somme totale de tout cet univers est Dieu Lui-même. Alors Dieu est-Il matière ? Non, certainement pas, car la matière est ce Dieu perçu par les cinq sens; ce Dieu perçu au travers de l'intellect est le mental ; et lorsque l'esprit voit, Il est vu comme esprit. Il n'est pas matière, mais tout ce qui est réel dans la matière est Lui. Tout ce qui est réel dans cette chaise est Lui, car la chaise a besoin de deux choses pour être chaise. Quelque chose se trouvait à l'extérieur que mes sens m'ont apportée et à laquelle mon mental a contribué pour quelque chose d'autre, et la combinaison de ces deux choses est la chaise. Ce qui existait éternellement, indépendant des sens et de l'intellect, était le Seigneur Lui-même. Sur Lui le mental peint des chaises, des tables, des pièces, des maisons, des mondes, des lunes, des étoiles et tout le reste. Alors comment cela se fait-il que nous voyons tous cette même chaise, que nous peignions tous de la même manière ces diverses choses sur le Seigneur, sur cette Existence, cette Connaissance et cette béatitude ? Il n'est pas nécessaire que tous peignent de la même manière, mais ceux qui peignent de la même manière sont sur le même plan d'existence et c'est pourquoi ils voient les peintures les uns des autres aussi bien qu'un autre. Il peut y avoir des milliards d'êtres entre vous et moi qui ne peignent pas le Seigneur de la même manière, et nous ne les voyons pas, ni eux ni leurs peintures.

D'un autre côté, comme nous le savons tous, les recherches physiques modernes tendent de plus en plus à démontrer que ce qui est réel n'est que ce qui est plus fin, le grossier n'étant qu'une apparence. Quoique cela puisse être, nous avons vu que s'il y a une théorie de la religion qui puisse soutenir l'épreuve du raisonnement moderne, c'est celle de l'Advaita, parce qu'elle remplit les deux exigences. C'est la généralisation la plus élevée, au-delà même de la personnalité, généralisation qui est commune à tout être. Une généralisation qui aboutit au Dieu Personnel ne peut jamais être universelle, car, tout d'abord, pour concevoir un Dieu Personnel nous devons dire qu'Il est tout-miséricordieux, tout-bon. Mais ce monde est une chose mixte, il y a du bon et du mauvais. Nous découpons ce que nous aimons et nous le généralisons en un Dieu Personnel ! De la même manière que vous dites qu'un Dieu Personnel est ceci et cela, vous devez dire aussi qu'Il n'est pas ceci et pas cela. Et vous verrez toujours que l'idée d'un Dieu personnel doit porter avec elle un diable personnel. C'est comme cela que nous voyons clairement que l'idée d'un Dieu Personnel n'est pas une généralisation vraie, nous devons aller au-delà, à l'Impersonnel. En cet Impersonnel l'univers existe, avec toutes ses joies et toutes ses peines, car tout ce qui existe en lui est venu entièrement de l'Impersonnel. Quelle sorte de Dieu peut être le Dieu à qui nous attribuons le mal et d'autres choses ? L'idée est que bien et mal sont tous deux des aspects différents, ou des manifestations différentes de la même chose. L'idée qu'ils étaient deux a été une mauvaise idée dès le départ et elle a été la cause de beaucoup de misères dans ce monde qui est le nôtre, l'idée que bien et mal sont deux choses séparées, toutes faites, indépendantes l'une de l'autre, que bien et mal sont deux choses éternellement séparables et séparées. Je serais très content de voir un homme qui puisse me montrer une chose qui est tout le temps bonne et une chose qui est tout le temps mauvaise. Comme si l'on pouvait se lever et sérieusement définir des évènements de notre vie qui soient bons et seulement bons, et d'autres qui soient mauvais et seulement mauvais. Ce qui est mauvais aujourd'hui peut être bon demain. Ce qui est bon pour moi peut être mauvais pour vous. La conclusion est que, comme pour toute autre chose, il y a aussi une évolution dans le bien et le mal. Il y a quelque chose que dans son évolution nous appelons bien à un certain degré et mal à un autre degré. La tempête qui tue mon ami, je l'appelle mal, mais elle peut avoir sauvé les vies de centaines de milliers d'autres personnes en tuant les bacilles qui se trouvaient dans l'air. Ils l'appellent bien, je l'appelle mal. Ainsi bien et mal appartiennent au monde relatif, aux phénomènes. Le Dieu Impersonnel que nous proposons n'est pas un Dieu relatif ; c'est pourquoi on ne peut pas dire qu'Il soit bon soit mauvais parce qu'Il n'est ni bon ni mauvais, mais Il est quelque chose au-delà, parce qu'Il n'est ni bon ni mauvais. Bon en est cependant une manifestation plus proche que mauvais.

Quel est le résultat de l'acceptation d'un tel Être Impersonnel, d'une telle Déité Impersonnelle ? Qu'y gagnerons-nous ? La religion sera-t-elle un facteur dans la vie humaine, notre consolatrice, notre aide ? Qu'advient-il du désir du cœur humain de prier pour demander de l'aide à un être ? Tout cela restera. Le Dieu Personnel restera, mais sur une base meilleure. Il a été renforcé par l'Impersonnel. Nous avons vu que sans l'Impersonnel, le Personnel ne peut pas demeurer. Si vous voulez dire qu'il y a un Être entièrement séparé de cet univers, qui a créé cet univers simplement par Sa volonté, à partir de rien, cela ne peut pas être prouvé. Un tel état de choses ne peut pas exister. Mais si nous comprenons l'idée de l'Impersonnel, alors l'idée du Personnel peut aussi rester là. Cet univers, sous ses formes variées, n'est que les lectures variées du même Impersonnel. Lorsque nous le lisons avec les cinq sens, nous l'appelons monde matériel. S'il existait un être avec plus de cinq sens, il le lirait comme quelque chose d'autre. Si l'un de nous obtient le sens électrique, il verra cet univers comme quelque chose d'autre encore. Il y a des formes variées de la même Unité, de qui toutes ces différentes idées de mondes ne sont que diverses lectures, et le Dieu Personnel est la lecture la plus élevée de cet Impersonnel qui puisse être atteinte par l'intellect humain. De telle sorte que le Dieu Personnel est vrai tout autant que cette chaise est vraie, tout autant que ce monde est vrai, mais pas plus. Ce n'est pas la vérité absolue. C'est-à-dire que le Dieu Personnel est ce Dieu Impersonnel même et c'est pourquoi il est vrai, tout comme moi en tant qu'être humain suis vrai et non vrai en même temps. Il n'est pas vrai que je suis ce que vous voyez que je suis; vous pouvez vous en assurer. Je ne suis pas l'être que vous croyez que je suis. Vous pouvez vous en assurer votre raison, parce que la lumière, et les différentes vibrations, ou les conditions de l'atmosphère, et toutes les sortes de mouvements à l'intérieur de moi ont contribué à ce que vous voyiez mon être comme ce que je suis. Si l'une de ces conditions change, je suis encore différent. Vous pouvez vous en assurer en prenant une photographie du même homme dans différentes conditions de lumière. Je suis ainsi ce que j'apparais être en relation avec vos sens, et pourtant, malgré tous ces faits, il y a un quelque chose d'inchangeable dont toutes ces choses sont des états différents d'existence, le moi impersonnel, dont des milliers de moi sont des personnes différentes. J'étais un enfant, j'étais jeune, je vieillis. Chaque jour de ma vie, mon corps et mes pensées changent, mais malgré tous ces changements, leur somme totale constitue une masse qui est une quantité constante. C'est le moi impersonnel, dont toutes ces manifestations forme, pour ainsi dire, des parties.

D'une manière similaire, la somme totale de cet univers est immuable, nous le savons, mais tout ce qui appartient à cet univers consiste en mouvement, tout est dans un état constant de flux, tout change et se meut. Nous voyons en même temps que cet univers en tant que tout est immuable, parce que le mouvement est un terme relatif. Je bouge par rapport à cette chaise qui ne bouge pas. Il doit y avoir au moins deux choses pour créer le mouvement. Si tout cet univers est pris comme une unité il n'y a pas de mouvement; par rapport à quoi bougerait-il ? Ainsi l'Absolu est inchangeable et immuable, et tous les mouvements et changements n'existent que dans le monde phénoménal, dans le monde limité. Cette totalité est Impersonnel, et dans cet Impersonnel existent toutes ces différentes personnes en commençant par l'atome le plus bas jusqu'à Dieu, le Dieu Personnel, le Créateur, le Souverain de l'Univers, que nous prions, devant lequel nous nous agenouillons, etc. On peut démontrer un tel Dieu avec beaucoup de raisonnement. On peut expliquer un Dieu de la sorte comme étant la manifestation la plus élevée de l'Impersonnel. Vous et moi sommes des manifestations très faibles, et le Dieu Personnel est la manifestation la plus élevée que nous puissions concevoir. Nous ne pouvons ni vous ni moi devenir ce Dieu Personnel. Quand le Vedanta dit que vous et moi sommes Dieu, il ne veut pas parler du Dieu Personnel. Prenons un exemple. On fabrique un énorme éléphant d'argile à partir d'une masse d'argile, et à partir de la même masse on fabrique une petite souris. La souris d'argile sera-t-elle jamais capable de devenir l'éléphant d'argile ? Mais mettez-les tous les deux dans l'eau et ils sont tous les deux de l'argile, en tant qu'argile tous les deux sont un, mais en tant que souris et éléphant il y aura une différence éternelle entre eux. L'Infini, l'Impersonnel, est comme l'argile de l'exemple. Nous et le Souverain de l'Univers sommes un, mais en tant qu'êtres manifestés, hommes, nous sommes Ses esclaves éternels, Ses adorateurs éternels. Nous voyons ainsi que le Dieu Personnel demeure. Tout le reste dans ce monde relatif demeure, et la religion peut se tenir sur une meilleure fondation. Il est donc nécessaire de connaître d'abord l'Impersonnel afin de connaître le Personnel.

Comme nous l'avons vu, la loi de la raison dit que le particulier ne peut être connu qu'à travers le général. Ainsi tous ces particuliers, de l'homme jusqu'à Dieu, ne peuvent être connu qu'à travers l'Impersonnel, la généralisation la plus élevée. Les prières resteront, seulement elles auront un meilleurs sens. Toutes ces idées insensées de prière, les stages inférieurs de la prière, qui ne sont que de donner des noms à toutes les sortes de désirs stupides qui se trouvent dans notre mental, devront peut être disparaître. Dans toutes les religions sensées, on n'a jamais permis de faire des prières à Dieu; on a permis des prières aux dieux. C'est tout à fait naturel. Les catholiques romains prient les saints, c'est tout à fait bien. Mais prier Dieu n'a pas de sens. Prier Dieu de vous donner un souffle d'air, de faire tomber une averse, de faire pousser les fruits de votre jardin, etc… c'est complètement anormal. Cependant les saints, qui étaient de petits êtres comme nous, peuvent nous aider. Mais prier le Souverain de l'Univers, débiter chacun de nos petits besoins, et dire depuis notre enfance : " O Seigneur, j'ai un mal de tête, fais-le partir ", c'est ridicule. Il y a eu des millions d'âmes qui sont mortes dans ce monde, et elles sont toutes ici; elles sont devenues des dieux et des anges; qu'elles viennent à notre secours. Mais Dieu ! Cela ne peut être. Nous devons aller vers Lui pour des choses plus élevées. Fou en vérité est celui qui, demeurant sur les rives de Ganga, creuse un petit puits pour avoir de l'eau; fou en vérité celui qui, vivant près d'une mine de diamants, creuse pour des bouts de cristal.

Et en vérité nous serons des fous si nous allons au Père de toute miséricorde, au Père de tout amour pour des choses terrestres triviales. C'est pourquoi nous devons aller à Lui pour la lumière, pour la force, pour l'amour. Mais tant qu'il y a en nous de la faiblesse et un désir de dépendance servile, ces petites prières et ces petites idées d'adoration d'un Dieu Personnel existeront. Mais ceux qui sont hautement avancés ne se soucient pas de petites aides de la sorte, ils ont presque tout oublié en ce qui concerne ces petites requêtes personnelles, ces petits besoins personnels. En eux l'idée prédominante est : pas moi, mais toi, mon frère. Celles-là sont les personnes aptes à adorer le Dieu Impersonnel. Et quel est le culte du Dieu Impersonnel ? Pazs d'esclavage là : " O Dieu, je ne suis rien, aie pitié de moi. " Vous connaissez le vieux poème persan, traduit en anglais : j'étais venu voir ma bien-aimée. Les portes étaient fermées. J'ai frappé et une voix est venue de l'intérieur : " Qui es-tu ? " "Je suis Untel." La porte ne s'est pas ouverte. Je suis venu une seconde fois et j'ai frappé; on m'a posé la même question et j'ai donné la même réponse. La porte ne s'est pas ouverte. Je suis venu une troisième fois et la même question est arrivée. J'ai répondu : " Je suis toi, mon amour ", et la porte s'est ouverte. " Le culte du Dieu Impersonnel se fait au travers de la vérité. Et qu'est-ce que la vérité ? Que je Suis Lui. Quand je dis que je ne suis pas Toi, c'est faux. Quand je dis que je suis séparé de toi c'est un mensonge, un terrible mensonge. Je suis un avec cet univers, né un. C'est une évidence en soi pour mes sens que je suis un avec l'univers. Je suis un avec l'air qui m'entoure, un avec la chaleur, un avec la lumière, éternellement un avec tout l'Être Universel, que l'on nomme cet univers, que l'on prend à tort pour cet univers, car c'est Lui et rien d'autre, le sujet éternel dans le cœur qui dit : " Je suis " dans chaque cœur, le sans mort, le sans sommeil, le toujours éveillé, l'immortel, dont la gloire jamais ne meurt, dont les pouvoirs jamais ne faillissent. Je suis un avec Cela.

C'est tout le culte de l'Impersonnel, et quel en est le résultat ? La vie entière de l'homme en sera changée. La force, la force, c'est ce que nous voulons tant dans cette vie, car ce que nous appelons péché et peine ont tous une cause unique, et c'est notre faiblesse. Avec la faiblesse vient l'ignorance, et avec l'ignorance vient la misère. Cela nous rendra fort. Alors nous nous moquerons des misères, alors nous sourirons à la violence du vil et le tigre féroce révèlera, derrière sa nature de tigre, mon propre Soi. Voilà quel sera le résultat. Cette âme est forte qui est devenue une avec le Seigneur; nulle autre n'est forte. Dans votre propre Bible, que pensez-vous qui a été la cause de la force de Jésus de Nazareth, cette force immense, infinie, qui souriait aux traîtres et bénissait ceux qui voulaient le tuer ? C'était cela : " Moi et mon Père sommes un " ; c'était cette prière : " Père, tout comme je suis un avec toi, rends-les tous un avec moi. " Cela est le culte du Dieu Impersonnel. Soyez un avec l'univers, soyez un avec Lui. Et ce Dieu Impersonnel ne demande pas de démonstrations, pas de preuves. Il est plus proche de nous que nos sens même, plus proche de nous que nos propres pensées; c'est en Lui et par Lui que nous voyons et pensons. Pour voir quelque chose, je dois d'abord Le voir. Pour voir ce mur je Le vois d'abord, puis je vois le mur, car Il est le sujet éternel. Qui voit quoi ? Il est ici au fond de notre coeur. Le corps et le mental changent; le malheur, le bonheur, le bien et le mal vont et viennent ; les jours et les années s'écoulent ; la vie vient et s'en va; mais Il ne meurt pas. La même voix : " Je suis, Je suis" est éternelle, inchangeable. En Lui et par Lui nous connaissons tout. En Lui et par Lui nous voyons tout. En Lui et par Lui nous sentons, nous pensons, nous vivons et nous sommes. Et ce " Je ", que nous prenons à tort pour être un petit "Je", limité, n'est pas seulement mon"Je", mais le vôtre,le "Je" de tout le monde, des animaux, des anges, du plus vil des vils. Ce " Je suis " est le même dans le meurtrier que dans le saint, le même dans le riche que dans le pauvre, le même dans l'homme que dans la femme, le même dans l'homme que dans les animaux. De l'amibe la plus vile jusqu'à l'ange le plus élevé, Il réside en toute âme, et Il déclare éternellement : " Je sui Lui, je suis Lui. " Lorsque nous avons compris que cette voix y est éternellement présente, lorsque nous avons appris cette leçon, l'univers entier aura exprimé son secret. La Nature nous aura abandonné son secret. Rien d'autre n'est à connaître. Nous trouvons ainsi la vérité que cherchent toutes les religions, et nous voyons que toute cette connaissance des sciences matérielles n'est que secondaire. Que c'est la seule véritable connaissance qui nous fait nous unit à de Dieu Universel de l'Univers.