YOGA VASISHTHA
MAHARAMAYANA

 

LIVRE II

 

CHAPITRE 1

LIBERATION DE SUKADEVA

 

1.- Après que Rama eut délivré son discours d'une voix audible devant l'assemblée, il fut tendrement accosté par le sage Vishvamitra qui s'assit devant lui et dit :

2.- Rama ! Tu es le meilleur des plus intelligents et tu n'as rien de plus à apprendre que ce que tu es parvenu à savoir par ta bonne observation.

3.- Tu as une compréhension claire comme le miroir de par sa propre nature, et pourtant tes questions sont utiles comme l'est le nettoyage du miroir.

4.- Ton mental est semblable à celui de Suka, le fils du grand Vyasa, qui, connaissant par intuition le connaissable, avait pourtant besoin de quelques préceptes pour confirmer sa conviction.

5.- Rama dit : Comment se fait-il, monsieur, que le fils du grand Vyasa, qui n'était pas assuré à première vue de la connaissance du connaissable, soit ensuite parvenu à une ferme conviction ?

6.- Vishvamitra répondit : Ecoute-moi te raconter, à toi Rama, l'histoire de Sukadeva dont le cas était exactement semblable au tien et dont l'histoire est une prévention à de futures naissances.

7.- Là se trouve le grand Vyasa, assis sur son siège d'or aux côtés de ton père, basané de teint comme une colline de charbon mais flamboyant comme le soleil ardent.

8.- Son fils s'appelait Suka, un garçon d'une grande érudition et d'une grande sagesse, au visage semblable à la lune et à la stature posée comme l'autel sacrificiel.

9.- Il réfléchissait comme toi à la vanité des affaires de ce monde , et il est de la même manière devenu indifférent à tout ce qui concerne ce monde.

10.- Ce fut alors que le jeune homme au grand esprit fut conduit de par sa propre compréhension discriminative à une longue recherche sur ce qui était vrai, et il le découvrit à la fin par sa propre investigation.

11.- Ayant obtenu la vérité la plus haute, il était encore troublé et il ne pouvait pas arriver à la conviction de la certitude de sa connaissance.

12.- Son mental devenait de plus indifférent à ses perceptions des plaisirs passagers du monde, et comme le Chataka, il n'était avide que des gouttes de rosée du bonheur céleste.

13.- Un jour, le clairvoyant Suka, trouvant son père Krishna-Dvaipayana-Vyasa assis tranquillement seul, lui demanda avec respect :

14.- Dis-moi, ô sage, d'où apparaît cette agitation du monde, et comment elle peut s'apaiser. Quelle en est la cause, jusqu'à quel point va-t-elle s'étendre, et où se situe sa fin ?

15.- Le sage Vyasa, qui connaissait la nature de l'âme, ainsi questionné par son fils, lui expliqua clairement tout ce qui devait être dit.

16.- Suka pensait qu'il savait déjà tout cela de par sa bonne compréhension, aussi ne pensa-t-il pas beaucoup aux instructions de son père.

17.- Comprenant les pensées de son fils, Vyasa lui répondit en disant qu'il ne connaissait pas mieux la véritable nature de ces choses,

18.- mais qu'il y avait dans ce pays un prince qui s'appelait Janaka qui connaissait bien la connaissance du connaissable et de qui Suka pouvait tout apprendre.

19.- Ainsi dirigé par son père, Suka se rendit à la ville de Videha, au pied du mont Sumeru et qui se trouvait sous le règne de Janaka.

20.- Le porteur de massue (gardien) informa Janaka à l'esprit élevé de sa venue, lui disant que Suka, le fils de Vyasa, attendait à la porte.

21.- Janaka, qui comprit que Suka était venu pour apprendre de lui, ne tint pas compte de l'informateur mais garda par la suite le silence pendant sept jours.

22.- Puis le prince lui ordonna de l'amener dans le complexe extérieur où il devait rester septs jours de plus, comme avant, dans le tourment de son mental.

23.- On demanda alors à Suka d'entrer dans l'appartement intérieur où il continua une semaine de plus sans voir le prince.

24.- Là, Janaka régala Suka au visage de lune avec une abondance de mets, de parfums et de vigoureuses demoiselles.

25.- Mais ni ces vexations ni ces divertissements ne purent affecter le contenu du mental de Suka qui demeura ferme comme un rocher sous les coups du vent.

26.- Il restait là comme la pleine lune, tranquille dans ses désirs, silencieux et content en son esprit.

27.- Le prince Janaka ayant ainsi connu la disposition du mental de Suka, il le fit introduire en sa présence où, voyant le contentement de son âme, il se leva et se courba devant lui.

28.- Janaka dit : Tu as pleinement rempli tous tes devoirs en ce monde et tu as obtenu l'objet du désir de ton coeur jusqu'au point extrême; que désires-tu maintenant, désir pour lequel tu es le bienvenu chez moi ?

29.- Suka dit : Dis-moi, mon guide, d'où a jailli tout ce remue-ménage, et dis-moi aussi comment il peut arriver rapidement à son effondrement.

30.- Vishvamitra dit : Ainsi questionné par Suka, Janaka lui dit les mêmes choses que celles qu'il avait apprises de son père à la grande âme.

31.- Suka dit alors : J'en suis venu à connaître tout cela il y a longtemps par ma propre intuition puis à partir du discours de mon père en réponse à ma question.

32.- Vous, monsieur, qui êtes le plus éloquent de tous, vous avez parlé dans le même sens, et on voit que c'est le vrai sens des Shastras.

33.- Que le monde est une création de la volonté, qu'il se perd en l'absence de nos désirs et que c'est après tout un monde maudit et sans substance, c'est la conclusion à laquelle sont arrivés tous les sages.

34.- Dites-moi maintenant vraiment, prince aux long bras, ce que vous pensez que ce monde est vous puissiez faire reposer mon mental de son errance autour du monde.

35.- Janaka répondit : Ô sage, il n'y a rien de plus certain que ce que tu as connu par toi-même et entendu de ton père.

36.- Il n'y a qu'un esprit intelligent non divisé connue comme Âme Universelle (Paramatman) et rien à côté; il s'enferme par ses désirs, et il se libère par leur absence.

37.- Tu es vraiment parvenu à la connaissance du connaissable grâce à laquelle ta grande âme a cessé son attachement aux objets de plaisir et de vision.

38.- Tu dois être un héros pour avoir, depuis ta jeunesse, vaincu ton désir dans la chaîne grandissante des plaisirs attractifs. Que veux-tu entendre de plus ?

39.- Même ton père, avec toute son érudition dans toutes les sciences et sa dévotion aux austérités, n'est pas parvenu comme toi au stade de la perfection.

40.- Je suis un élève de Vyasa, et tu es son fils; mais tu es plus grand que nous deux de par ton abandon du goût pour les plaisirs de la vie.

41.- Tu as obtenu tout ce qui peut s'obtenir par la compréhension de ton mental et, comme tu ne prends aucun intérêt au monde extérieur et visible, tu en es libéré et tu n'as à douter de rien.

42.- Ainsi conseillé par le magnanime Janaka, Sula resta silencieux, le mental fixé dans l'objet purement suprême.

43.- Puis, dépourvu de chagrin et de peur et délivré de tout effort et de tout doute, il s'en alla vers un sommet paisible du mont Meru pour arriver à son absorption finale.

44.- Il y passa dix mille pluies dans un état de méditation inaltérable jusqu'à ce qu'à la fin il brise son noeud mortel et s'éteigne dans le Paramatman comme une lampe sans huile.

45.- Ainsi purifié de la tâche de la transmigration par l'abstinence des désirs terrestres, Suka à la grande âme s'enfonça dans l'état béni du Paramatman comme une goutte d'eau se mélange aux eaux ou se fond dans la profondeur de l'océan.