La première fois que j'ai vu Yogi Ramsuratkumar, j'ai
vu un vieil homme dans un grand châle gris marcher dans
une petite construction qui n'était pas terminée,
remuant les deux mains comme pour attraper des mouches au hasard,
montant et descendant l'allée centrale comme un fou pendant
cinq minutes, puis sortir. J'avais entendu dire que ce Yogi local
fumait cigarette sur cigarette et qu'il ne donnait pas d'enseignement,
mais là encore beaucoup d'autres "maîtres"
que j'avais rencontrés qui ne fumaient pas et qui délivraient
des enseignements éloquents s'étaient révélés
bien plus petits que ce que j'en avais espéré. Je
ne tirais donc aucune conclusion.
Alors que je n'ai pu voir que la plus petite partie de la magnificence
de Yogi Ramsuratkumar pendant la première semaine, un jour
la première vision suggestive a commencé à
laisser monter à la surface une majesté et une magie
que nous ne pouvons désigner que par des mots comme "qui
englobe tout", "brisure de cur" ,"compassion
sanglante", j'avais mal pour ceux auxquelles la perception
de cette beauté n'avait pas encore été accordée.
J'ai vu pendant ces mois miracle après miracle, et bien que je vais ici en faire partager un peu le goût, les miracles matériels furent mineurs en comparaison du miracle du tremblement de terre d'amour qui fait continuellement irruption en sa présence. Quant aux miracles visibles, le fait que Yogi Ramsuratkumar était pleinement télépathique - lisant mot à mot, dans n'importe quelle langue, dans l'esprit de celui sur lequel il posait son attention - est indiscutable dans mon expérience. Il est devenu tout à fait évident, pour ne pas dire un lieu commun, qu'il pouvait facilement ouvrir et fermer les portes à distance, guérir les plaies et les maladies chroniques, s'engager dans un véritable échange avec des êtres dans la pièce que personne ne pouvait voir, maîtriser et ébranler habilement la dynamique psychologique d'une personne, de quelque culture qu'elle soit.
Un jour, au début de mon séjour, alors que je
lui faisais savoir que j'allais rester à Tiruvannamalai
pendant les six semaines à venir, il m'informa que je ne
resterai pas six semaines mais six ans ! Yogi Ramsuratkumar a
quitté son corps six ans plus tard, presque jour pour jour.
Bien que je ne sois pas restée physiquement à ses
côtés ces années-là, je n'aurais jamais
deviné la nature prophétique de son commentaire.
Yogi Ramsuratkumar dormait à peine. Il vivait en prière.
Il vivait en travaillant. Je ne l'ai jamais vu faire autre chose
qui paraisse être autre chose que du travail. Son occupation
n'était pas la béatitude de l'absorption dans le
Soi, mais ce qui apparaissait être un abandon radical de
tout aux formes manifestées et peut-être non-manifestées
de Dieu. Ce qui est Yogi Ramsuratkumar n'avait rien à faire
avec lui-même. Pour ceux qui l'ont perçu même
au moindre degré, il était tacitement apparent qu'il
n'y avait littéralement pas de "lui", pas même
une ombre ne subsistait. Il n'existait ainsi pleinement et seulement
que pour l'Autre.
Les visiteurs de courte durée, dans leurs projections idéalisantes,
parlaient de lui comme d'un grand' père bienfaisant, et
me demandaient ce que cela faisait de se réchauffer quotidiennement
à sa chaleur et à son regard. Ils ne savaient pas
que Yogi Ramsuratkumar était un véritable tyran
impitoyable qui magnait une épée de feu. Être
près de lui en toute sincérité, c'était
faire l'expérience d'un véritable feu intérieur
qui n'épargnait rien sur son passage. Le soi égoïste
que je faisais l'erreur de prendre pour moi souffrait de manière
plus intense et de manière plus régulière
en sa compagnie qu'en n'importe quelle autre circonstance antérieure
ou depuis ce temps-là. Pourtant, si adroite était
sa capacité à défaire l'ego que mon ego se
mettait à se débattre comme s'il était écorché
vif, alors qu'en même temps je ne savais pas qu'il avait
quelque chose à faire avec la souffrance que j'endurais.
La lumière de Son "Soi" mettait mon "moi"
à nu et sans butoir. Recevoir le privilège de son
Feu d'Amour, c'était accepter que tout soit réduit
en cendres. Ce ne sont pas des métaphores, des paroles
exagérées pour décrire une expérience
émotionnelle intense. C'est mon expérience répétée
de ce que j'ai vécu très près de Lui.
Le véritable miracle de Yogi Ramsuratkumar, dont les autres
miracles n'étaient que des symptômes, était
le Miracle de l'Amour. Les autres miracles n'étaient que
des rappels aux prudents et aux froissés pour les attirer
vers l'or véritable. D'autres saints et Yogis sont connus
pour avoir montré des pouvoirs télépathiques,
pour avoir guéri des malades, pour avoir manifesté
des objets à partir de l'air, et ils ont pourtant eu des
carrières discutables dans d'autres domaines de leur vie.
Yogi Ramsuratkumar a été et est un Maître
d'Amour et un Maître du Déchirement de cur.
Quand les gens me demandent s'il était au comble du bonheur,
je ne peux pas dire que c'est ce que j'ai vu. Ce dont j'ai été
témoin jour après semaine et après mois,
c'était un cur ouvert qui saignait de compassion
pour la souffrance de l'humanité entière et d'une
manière concevable pour l'entier cosmos. Il a vécu
et il est parti dans le service de tous les êtres. C'est
ce qu'Il était et ce qu'Il est.
Ce que je peux dire, de l'endroit le plus cru, le moins romantique, le moins sentimental en moi, c'est que Yogi Ramsuratkumar n'était ordinaire en rien. Yogi Ramsuratkumar est mort cinquante ans auparavant aux pieds de son guru, Swami Ramdas, et il a continué ensuite à aller de plus en plus loin dans l'Infini. Il est allé si loin dans l'univers qu'il appelait "Mon Père", qu'à bien des égards il était tout sauf humain. Il y a de grands enseignants qui apparaissent pour faire l'expérience des émotions humaines ordinaires et du conditionnement égoïste mécanique et cela ne nie pas leur maîtrise, mais Yogi Ramsuratkumar était à cet égard différent. Il était si différent qu'un jour, après six mois de mon séjour là-bas, il me vint à l'esprit que, d'une certaine manière, il était un homme. Déconcertée par cet aperçu, je me redressai, le regardai attentivement, et je me suis souvenue de ce que j'avais entendu; il avait un jour été un jeune garçon espiègle, il s'était marié, il avait eu des enfants et il avait enseigné à l'école. Il avait même le corps d'un homme. A vrai dire d'une manière ou d'une autre c'était un homme. Il peut paraître étrange que le fait qu'il était un homme soit vécu comme révélateur, car que pouvait-il être d'autre ? Mais plus singulier est le fait que des mois aient passé et que cela ne me soit jamais arrivé. Aussi finement qu'il m'avait conduit à une vision de mon propre enfer intérieur, il avait aussi révélé la majesté qui était si au-delà de l'au-delà qu'elle ne ressemblait plus à l'humanité ordinaire.
Il donna son cadeau final de ce voyage particulier à l'aéroport de Chennai. J'étais en train de passer à la sécurité, soucieuse de revenir vers ma famille et vers mes amis lorsque je fus informée que mon visa d'étrangère n'avait pas été tamponné par la police locale, ce qui était nécessaire pour un séjour en Inde de plus de six mois, et que je devais rester à Madras jusqu'à ce que je puisse obtenir le tampon requis. Il était minuit, mon corps était épuisé et ma psychés si vidée par des mois de compagnie du Divin Incinérateur que je commençais à discuter avec les hommes de la sécurité en vain. Alors j'ai mendié mais je n'ai trouvé aucune pitié. Et mes pleurs n'attirèrent pas leur gentillesse. Désespérée, je commençais à chanter "Yogi Ramsuratkumar, Yogi Ramsuratkumar, Yogi Ramsuratkumar Jaya Guru Raya" comme je l'avais fait tant de milliers de fois au cours de ces mois-là. Je ne chantais pas silencieusement mais d'une voix douce, et tout en chantant doucement je me critiquais d'être si égoïste et arrogante que je ne pouvais pas simplement chanter calmement en moi-même et qu'au lieu de cela j'avais besoin d'être entendue comme une "personne spirituelle".
Le garde de la sécurité revint une heure plus tard alors qu'on procédait à l'embarquement de mon avion et que je pleurais d'apitoiement sur moi-même. "Vous savez", me dit-il, "il s'est fait que je suis allé le week-end dernier à Tiruvannamalai pour recevoir le darshan du grand saint Yogi Ramsuratkumar. Et alors que je m'y trouvais, il y avait une jeune occidentale qui conduisait les chants. Quand je vous ai entendue chanter ici à la sécurité, j'ai réalisé que vous étiez la femme que j'avais entendue chanter. Yogi Ramsuratkumar est un grand, grand saint et je veux que vous sachiez que c'est pour cette seule raison que nous allons vous laisser passer la sécurité et embarquer dans votre avion cette nuit. Allez-vous en !"
Comme je l'ai dit, Yogi Ramsuratkumar n'était pas extraordinaire du fait des miracles quotidiens dont il était responsable. (En ayant vécu des douzaines moi-même, je ne peux qu'imaginer combien de dizaines de milliers sont arrives en relation avec Son Nom ou en Sa Présence). Les miracles et le délice de sa compagnie et de sa forme personnelles étaient comme l'écume des vagues de l'océan. La manifestation de son corps était comme l'océan lui-même. Et si je devais imaginer comment Il est à présent, ce serait quelque chose de bien plus grand. Quelque chose de calme et peut-être d'inconnu à jamais. On disait de son Père spirituel, Swami Ramdas d'Anandashram : "Ramdas joue au football avec les planètes. " On l'entendait de manière littérale. Je me demande à quoi Yogi Ramsuratkumar jouait, et à quoi il joue maintenant. ?