Yogi Ramsuratkumar (Shiva Shankar) |
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Indiscutablement, l'Inde est le pays qui possède le plus
grand nombre de saints et de chercheurs spirituels en tous genres.
C'est donc là que l'on peut découvrir beaucoup d'êtres
réalisés, bien qu'il s'y trouve également
un nombre encore plus grand de pseudo-instructeurs qui profitent
largement de la détresse et de l'ignorance du peuple. Je
souhaite présenter ici un instructeur dûment reconnu
parmi ceux que l'on nomme les libérés."
J'ai eu à deux reprises le privilège de rencontrer
cet illustre personnage, et la seconde visite fut, à plusieurs
égards, tout à fait exceptionnelle. Accompagné
de mon épouse, je sollicitai une entrevue. Mais le sage
nous cria, en anglais, de l'intérieur de sa maison: "Revenez
à 16 heures". Ce que nous fîmes.
Ce sage se nomme Yogi RAMSURAT KUMAR. Ses disciples l'appellent
RAMJI, et c'est ainsi que je le mentionnerai, bien que je ne puisse
être compté au nombre de ses milliers de disciples.
Ramji nous fit entrer dans sa modeste maison, près du
temple de Tiruvannamalai. L'intérieur de la petite pièce
où Ramji reçoit ses fidèles est plus que
modeste. C'est une pièce vide, à l'exception d'une
natte pour lui, et d'une autre pour les visiteurs. Ces derniers
défilent d'une manière continue, et le sage les
fait entrer un par un, les couples exceptés. La coutume
veut que l'on apporte au sage quelques offrandes qu'il redonne
en général à d'autres visiteurs. Dès
notre entrée, Ramji nous fit asseoir en face de lui. La
plupart du temps, il ne garde les gens que quelques instants ou
quelques minutes et, dans tous les cas, on attend sa décision,
car lui seul juge le moment propice au départ.
Lors de ma première venue, les yeux du sage, puissants,
omniscients, mais aussi facétieux et pleins d'amour, m'avaient
fortement impressionné. Son regard m'avait immédiatement
conquis. Nous étions assis face à face et, pendant
la première heure, Ramji se contenta d'élever le
bras, les doigts dans notre direction, scrutant notre passé
sans secret our lui. Rien ne fut prononcé sur mon passé
lointain mais, à plusieurs moments, Ramji se retint d'éclater
de rire. Ma femme, elle, ne s'en priva pas. Quant à moi,
je m'efforçai d'être un miroir incolore en face d'une
conscience libérée qui, je le savais et le sentais,
pénétrait mes plus intimes pensées. A d'autres
moments, Ramji semblait avoir beaucoup de mal à scruter
ma conscience, mais peut-être est-ce de ma part un jugement
non fondé, car on ne peut pas juger un libéré
sur les apparences, qu'il a depuis bien longtemps transcendées.
De temps en temps, une petite souris sortait de son trou et essayait
de traverser la pièce. Cela le faisait beaucoup rire, puis
il reprenait son sérieux et continuait ses investigations.
Pendant tout ce temps, Ramji ne s'arrêta pas de fumer, exceptés
de courts instants. Selon ses disciples, à chaque fois
que Ramji aspire la fumée de sa cigarette, il brûle
un peu du karma de celui qui est en face de lui. Puis, il nous
posa quelques questions.
Ayant tout de suite deviné que nous étions français,
il se renseigna sur nos professions respectives, et fut très
heureux d'apprendre que j'étais l'auteur de quelques ouvrages
sur l'hindouisme. Après plus d'une heure et demie, Ramji
fit un certain nombre de mouvements des mains en notre direction,
comme s'il cherchait à chasser quelque chose. Il chanta
ensuite le mantra "Jaya Ram" pendant quelques minutes.
Puis, alors que deux heures de contemplation s'étaient
déjà écoulées, les yeux dans les yeux,
il me demanda de venir m'asseoir à ses côtés,
ce que je fis immédiatement.
Suite à une intense sadhana, j'avais, depuis quelques années,
des congestions des ganglions lymphatiques. Tout de suite, le
yogi me couvrit de claques affectueuses et commença à
toucher certains de ces ganglions. Puis, de la même façon,
il travailla sur ma main gauche, observant avec attention la paume,
le poignet et l'avant-bras. je fus très touché de
cette marque d'attention et de ce privilège et, soudain,
j'eus une étrange expérience. Quelque chose changeait
dans ma conscience et, sans que mes perceptions soient modifiées,
ma mémoire fui éveillée à une autre
dimension. En lui, je reconnus un personnage qui, dans un lointain
passé, fut mon père géniteur, et je me reconnus
comme ayant été son fils. Ce fut un moment merveilleux
et émouvant. Je retins des larmes de bonheur. Il me demanda
d'allumer sa cigarette, Nous restâmes encore un long moment
serrés l'un contre l'autre. il était maintenant
très joyeux et plein de tendresse à mon égard.
Ses yeux n'étaient plus scrutateurs, mais déversaient
un véritable fleuve d'amour.
Puis ce fut le moment de partir. Ramji se leva et nous raccompagna
jusqu'à la porte, nous faisant de grands gestes d'adieu
jusqu'à ce que nous disparûmes au coin de la rue.
J'eus alors, et je l'ai gardé de- puis, le sentiment de
perdre à nouveau quelqu'un qui, dans le passé, avait
compté au plus haut point. il me reste aujourd'hui une
gravure de lui, qu'il m'a offerte, et le souvenir d'un être
comme il est rare d'en rencontrer, même en Inde.
RAMSURAT KUMAR est né dans un village éloigné
de la cité sainte de Bénarès (Varanasi),
le ler décembre 1918. On sait peu de choses sur sa jeunesse,
si ce n'est que ses parents furent de grands dévots. Cela
lui permit l'étude de tous les textes sacrés du
Mahabharata et du Ramayana, et explique son grand intérêt
pour les pandits et autres érudits des textes sacrés.
Tout enfant, ses jeux se passaient au bord du Gange, et il différait
des autres enfants. La plupart de ses jeux consistaient à
s'entretenir avec des sages, des saints et des renonçants
de passage. Lorsqu'il était libéré de l'école,
il invitait des ascètes à venir manger dans sa maison.
Comme ses parents n'étaient pas riches, il lui arrivait
souvent de partager sa propre nourriture. Un jour qu'il était
en train de puiser de l'eau à un puits, un oiseau se percha
de l'autre côté, se mit à chanter et rompit
le profond silence. Instinctivement, l'enfant, agacé, envoya
vers lui le reste de sa corde.
L'oiseau fut touché et resta sans vie. L'enfant se précipita,
essaya de le ressusciter dans l'eau du Gange, mais en vain. Profondément
peiné, il dut l'enterrer. Il était en larmes et
l'émotion obscurcissait son âme douloureuse. Il ne
put dormir de la nuit, tant le remord brûlait sa conscience.
Cet instant, dit-il, déclencha un changement radical dans
sa compréhension de l'existence. Il commença à
ressentir l'unité de la vie et, au fond de son coeur germa
une intense aspiration spirituelle. Il se détacha du monde
extérieur et concentra sa conscience en lui-même.
Il fit mûrir en lui l'aspect de renoncement.
A l'âge de 16 ans, Ramji quitta son foyer afin de chercher
une vérité plus grande. Le destin favorisa cette
impulsion, car il rencontra un homme qui lui donna un billet pour
une station proche de Bénarès. L'adolescent marcha
à pied jus- qu'au Temple d'Or et honora le Seigneur de
l'Univers. Puis, lorsqu'il pénétra dans le Saint
des Saints, sa conscience s'élargit. En état d'extase,
il passa une semaine dans l'enceinte du temple. Pendant cette
période contemplative, il visita également la ville
de Sarnath, où Bouddha fit son premier sermon.
Ramji finit son éducation secondaire en 1937 et, selon
Swami Vimalananda, le père supérieur de Sivananda
Tapovanam (Maduraï), le yogi aurait reçu une éducation
supérieure à Lucknow. Sa profonde érudition
et sa connaissance de la littérature historique et philosophique
de l'Orient comme de l'Occident, sa maîtrise de l'anglais,
et son intérêt pour tout ce qui est d'actualité
politique, sociale ou scientifique, montrent qu'il a eu une brillante
formation supérieure.
Cependant, une âme aussi élevée ne pouvait
se satisfaire d'études. Son aspiration à trouver
Dieu et à obtenir la libération était trop
grande. Sa quête le conduisit donc vers un instructeur accompli.
Le jeune homme avait un ami moine à qui il se confiait
et posait de nombreuses questions. Une nuit de l'année
1947, cet ami suggéra au jeune yogi de ne plus chercher
au dehors ce qu'il possédait en lui-même. Là,
lui dit-il, tu trouveras les réponses à tes questions.
Mais le jeune adolescent avait besoin d'un guide. Ayant entendu
parler de Sri Aurobindo, il décida l'aller lui rendre visite.
Son ami s'en montra enchanté et lui suggéra d'aller
voir également un autre sage. Mais Ramji oublia le nom
de ce dernier, et ce n'est que plus tard qu'il apprit qu'il s'agissait
de Sri Ramana Maharshi.
Ramji arriva à l'ashram d'Aurobindo à Pondichery
en novembre 1947, au moment où celui- ci était au
sommet de sa discipline spirituelle. Le jeune espérait
recevoir l'instruction particulière du maître, et
s'y prépara en étudiant les écrits de ce
dernier. Cependant, Sri Aurobindo, vers la fin de sa vie, était
rarement visible. Ce fut à cette époque que Ramsurat
Kumar se lia avec un jeune ascète brahmachari, qui lui
conseilla d'aller rendre visite à Ramana Maharshi. Pourvu
d'un important bagage intellectuel, il lui fallait désormais
découvrir un instructeur sur le plan purement spirituel.
Mais les voies du Seigneur sont impénétrables, et
trois jours ne s'étaient pas écoulés qu'il
entendit parier d'un autre sage, Swami Ramdas. Celui-ci avait
un ashram dans un village appelé Kanhangad, clans le nord
du Kerala. Ramji ne fut pas impressionné par Swami Ramdas.
Il ne comprit pas sa manière de vivre, quelque peu confortable,
à son avis. Et, de plus, il était servi comme un
roi! Si Ramji avait connu son passé et sa grandeur, il
aurait réagi différemment. Mais, à cette
époque, il s'en retourna déçu chez lui à
Bénarès.
En 1948, Ramji rendit visite à Sri Aurobindo, mais ne resta
pas longtemps à ses côtés. Ensuite, il alla
enfin voir le sage d'Arunachala. Sri Ramana Maharshi était
l'un des plus purs représentants de la pensée non-dualiste
(Advaïta Vedanta). Ramji passa deux mois en présence
du Sage et ce fut pendant cette période que, par la grâce
du Maître, la vérité du Soi devint progressivement
une réalité pour le jeune homme. Notamment un jour
où, assis à côté du Maître, ce
dernier, à travers sa grâce silencieuse, éleva
la conscience de Ramji à des sommets jamais atteints. Dès
ce jour, il fut complète- ment transformé et sa
vie devint une existence de total renoncement et d'investigation
centrée sur le Soi (ATMA VICHARA).
Puis, l'impulsion de repartir le poussa à nouveau vers
Ramdas. Mais le destin l'en empêcha, et finalement il vécut
quelques temps à l'ashram de Sivananda à Rishikesh.
En avril 1950, il apprit la transition de Rarnana Maharshi et
d'Aurobindo. il eut l'impression d'avoir manqué deux grandes
opportunités et ne voulut pas manquer la troisième.
Il rendit donc visite à Ramdas en 1952. Le Maître
le reçut d'une manière exceptionnelle. Il l'accueillit
comme un fils prodigue. Ramji avait atteint un très haut
niveau de réalisation mais voulait aller au-delà
du voile. Ramdas s'en aperçut, lui ordonna de s'asseoir
et l'initia à la récitation (namasmarana) du grand
mantra: "SRI RAM JAYA RAM JAYA JAYA RAM". A cet instant
précis, il eut l'éveil complet de Kundalini Shakti,
et réalisa une expérience similaire à celle
qu'avait auparavant vécue Ramdas en son temps. Ramji resta
perdu en extase pendant plusieurs jours et devint rapidement un
yogi et un sage parfaitement réalisé. Après
deux mois, Ramdas lui fit comprendre qu'il n'avait plus rien à
lui apporter et que désormais il était son propre
Maître.
Le yogi partit et choisit d'aller résider à Tiruvannamalai,
tout près de la colline sacrée d'Arunachala où
se trouvait l'ashram de Ramana Maharshi. Ce voyage lui prit près
de sept années, pendant lesquelles il visita les principaux
sanctuaires, du nord de l'Himalaya à la pointe sud de l'Inde
(Kanyakumari). Il parvint au pied de la montagne dédiée
à Shiva au printemps 1959.
Aujourd'hui, Ramsurat Kumar a des milliers de fidèles en
Inde et en Occident. Quelques-uns lui ont procuré un toit
tout près du temple de Tiruvannamalai, qui lui sert de
hall de réception lors des darshan. Lorsqu'il n'est pas.
chez lui, il est en général sur la place publique
ou à l'intérieur de la grande cour du temple. Ramji
est très particulier, son attitude est d'une extrême
discrétion, et il ne montre jamais ses pouvoirs. Il ne
fait pas de discours, mais ceux qui l'approchent avec sincérité
reçoivent la paix et la lumière. Beaucoup lui demandent
pourquoi il se fait appeler "mendiant". A ceux-là,
il répond: "Même lorsque je me nomme moi-même
un mendiant, le monde me suspecte de posséder un trésor
caché et m'ennuie. Que serait mon destin si je me nommais
moi-même un roi!"
Ramji ne moralise pas, ne donne pas d'enseignement, et n'a écrit
aucun livre. Il ne porte sur lui que des haillons qui ne sont
jamais lavés. Lui-même ne se lave que très
rarement. Mais, étrangement, son corps dégage les
parfums les plus subtils, et tout en lui reste d'une incroyable
pureté.
Autre particularité: il ne porte pas les objets chers aux
ascètes. A la place, il porte un éventail à
main, des plumes d'oiseau et une noix de coco comme bol à
aumône. Son attitude est déroutante. Il peut être
silencieux pendant des heures et, d'un seul coup, rire aux éclats.
Quelquefois, il se met à danser et chanter le Ram Nam.
Aucune norme ne lui convient. il est indescriptible, et nul ne
peut prédire ce qu'il va faire, recevoir le demandeur ou
refuser l'entrevue. Aucune des lois humaines ne le conditionne.
Il vit en conscience divine et agit toujours à partir de
l'instant présent.
Ramji est très intéressé par la restauration
de la spiritualité en Inde. En 1972, il rencontra Swami
Gnanananda Giri à Tirukkoilur, et tous deux s'efforcèrent
de promouvoir une grande impulsion spirituelle dans la région
afin de restaurer le SANATHANA DHARMA. Mais Gnanananda transita
en 1974.
Le 26 septembre 1976, la Mère Divine de Kanyakumari, découverte
par Swami Gnanananda Giri, se rendit à Tiruvannamalai,
rencontra Ramji en face du temple d'Arunachala, et lui offrit
de la nourriture sacrée. Elle resta assise à l'intérieur
du temple et communia silencieusement toute la nuit avec Ramji
qui était à l'extérieur, Le lendemain, ils
échangèrent quelques plaisanteries se rapportant
au travail qui devait être fait. Puis, la Mère regagna
Kanyakumari.
Le premier noyau de disciples fut constitué en vue de cette
mission sacrée au moment où les fidèles du
grand yogi célébrèrent pour la première
fois son anniversaire, le soixantième. A cette occasion,
le jagat Guru Shankaracharya de Kanchi Kamakoti Peetham, Sri Chandrasekarendra
Sarasvati, envoya son message de bénédiction. Et,
au moment de l'accomplissement de la puja envers le yogi, tous
purent ressentir sa grâce et la puissance de son rayonnement
pendant qu'il entrait dans l'état le plus haut de contemplation
divine.
L'Inde, assurément, est encore la seule dépositaire
de tels joyaux. Et si la vérité doit être
découverte en soi-même, ce sont de tels sages qui
peuvent nous montrer la juste manière d'y parvenir.