Lorsque je suis arrivé de Madras, Yogiji était tranquillement assis à sa place habituelle dans la maison de Sannadhi Street. Il était seul. Il n'avait pas de guirlande autour du cou ni de cigarette dans la main. Sa tête n'était pas couverte et elle était légèrement penchée, les cheveux gris pendant librement et disparaissant sous sa chemise. Je ne l'avais jamais vu sans quelque chose qui lui couvre la tête et il semblait petit et vulnérable. Je me courbai et lui offris les roses que j'avais apportées du marché. "J'ai apporté des roses, Babaji", dis-je, m'adressant à lui de la manière affectueuse et pleine de respect du Nord de l'Inde. Rapide comme un éclair, sa tête se redressa et il dit : "Ce mendiant n'est pas un babaji ! Ce mendiant est un mendiant, un bhikshu !" Il était très autoritaire et je fus déconcerté par sa réponse. Je m'assis en face de lui. "Ce mendiant est le kesin yogi de l'hymne du Rig Veda." Kesin signifie : 'qui a les cheveux longs', et comme pour faire ressortir ce qu'il disait, il tira ses cheveux en dehors de sa chemise et les enveloppa autour de sa tête en rentrant le bout comme un turban. En faisant cela il sembla se replier, le visage se calmant et les yeux se tournant vers l'intérieur. Je me renfermai avec lui, la tension du voyage s'écoulant de moi comme de l'eau. Je devins intensément conscient que nous avions changé de dimension, le bruit du marché s'étant éloigné à une grande distance. C'était très calme. Nous nous assîmes pendant quelque temps complètement relaxés et en paix. Puis Yogi prit une rose et me la mit dans la main, me couvrant la main de la sienne et la tenant. "Ce mendiant est un Yogi", dit-il, la voix très douce et intime. "Ce mendiant est le même que le kesin yogi du grand hymne védique."
Il me fallut du temps pour localiser l'hymne auquel Yogi se référait. La clé qui me permit de le trouver était le terme "kesin" utilisé pour identifier un ascète avec de longs cheveux tombants. Il n'y avait qu'un hymne comme cela dans le Rig Veda mais il y en avait un certain nombre de traductions anglaises dénaturées et irrégulières. Beaucoup d'indologistes semblaient le traiter avec dédain, en en parlant comme du Chant du Muni Fou. Yogiji aurait été fort amusé de leur attitude bien que je n'eus pas le courage de le lui dire. En effet le kesin yogi ne fut plus jamais mentionné entre nous et j'oubliais bientôt l'incident. Il y avait d'autres rencontres avec Yogiji qui semblaient plus importantes. Mais je tombais un jour sur la grande anthologie des hymnes védiques de Raimundo Panikkar appelée L'Expérience Védique. Il y avait inclus l'hymne, simplement appelé "Muni" dans une traduction anglaise claire qui saisissait l'esprit même du kesin yogi. Je la donne ci-dessous et la laisse parler d'elle-même, comme Yogiji parlait pour lui-même quand il identifiait l'hymne comme étant le sien il y a tant d'années.