Swami VIVEKANANDA

LE VEDANTA COMME FACTEUR DE CIVILISATION

(Extrait d'un discours donné à Airlie Lodge, Ridgeway Gardens, England)

(Traduction : Gaura Krishna)

 

Les personnes qui ne sont capables de voir que l'aspect extérieur grossier des choses ne peuvent percevoir la nation indienne que comme un peuple conquis et souffrant, une race de rêveurs et de philosophes. Ils semblent être incapables de percevoir que dans le domaine spiritual l'Inde conquiert le monde. Il est vrai sans aucun doute " que tout comme le mental occidental trop actif profiterait d'un mélange d'introspection indienne et d'habitude méditative, l'Orient bénéficierait un peu d'une plus grande activité et d'une plus grande énergie. Nous devons pourtant nous demander : Quelle peut être cette force qui fait que ce peuple affligé et souffrant, l'Hindou, et le Juif aussi (les deux races dont sont venues toutes les grandes religions du monde) survit quand les autres nations périssent ? La cause ne peut être que leur force spirituelle. Les Hindous vivent encore bien qu'étant silencieux, les Juifs sont plus nombreux aujourd'hui que lorsqu'ils vivaient en Palestine. La philosophie de l'Inde s'infiltre dans tout le monde' civilise, modifiant et imprégnant Ainsi aussi dans les temps anciens, son commence allait jusqu'aux rives de l'Afrique avant que l'Europe ne soit connue, et ouvrait une communication avec le reste du monde, démontrant ainsi la fausseté de la croyance selon laquelle les Indient ne seraient jamais sortis de leur propre pays.

Il est remarquable aussi que la possession de l'Inde par une puissance étranger a toujours été un moment décisif dans l'histoire de ce pouvoir de cette puissance, lui amenant la richesse, la prospérité, l'autorité, et les idées spirituelles. Alors que l'occidental essaie de mesurer combien il est possible pour lui de posséder et de jouir, l'oriental semble prendre la voie opposée, et mesurer ce qu'il peut faire avec le minimum de possession matérielle. Dans les Védas nous retrouvons l'effort de cet ancien people pour trouver Dieu. Dans leur recherche ils ont rencontré différentes couches, en commençant avec le culte des ancêtres, ils sont passés au culte d'Agni, le dieu du feu, d'Indra, le dieu de la foudre, et de Varuna, le Dieu des dieux. Nous trouvons la croissance de cette idée de Dieu, depuis de nombreux dieux jusqu'au Dieu unique, dans toutes les religions ; sa signification réelle est qu'Il est le chef des dieux tribaux, qui crée le monde, règne sur lui et voit à l'intérieur de chaque coeur ; les étapes de croissance nous font monter d'une multiplicité de dieux au monothéisme. Cette conception anthropomorphique n'a cependant pas satisfait les Hindous, elle était trop humaine pour eux qui cherchaient le Divin. Aussi ont-ils abandonné de chercher Dieu dans le monde extérieur des sens et de la matière et ils ont tourné leur attention vers le monde intérieur. Y a-t-il un monde intérieur ? Et quel est-il ? C'est l'Atman. C'est le Soi, c'est la seule chose dont un individu peut être sur. S'il se connaît lui-même, il peut connaître l'univers, et pas autrement. La même question a été posée au commencement des temps, même dans le Rig-Veda, sous une autre forme : " Qui ou quoi existait depuis le commencement ? " Cette question a été graduellement résolue par la philosophie du Vedanta. L'Atman existait. Ce qui veut dire : ce que nous appelons l'Absolu, l'Âme Universelle, le Soi, est la force par laquelle toutes choses ont été, sont et seront manifestées depuis le commencement.

Alors que les philosophes du Vedanta résolvaient cette question, ils découvraient en même temps la vase de l'éthique. Bien que toutes les religions aient enseigné des préceptes éthiques, tels que " Ne tue pas, ne blesse pas, aime ton prochain comme toi-même ", etc., aucune pourtant n'en a donné la raison. Pourquoi ne dois-je pas blesser mon prochain ? Aucune réponse satisfaisante ou concluante à cette question n'est venue. Jusqu'à ce qu'elle soit développée par les spéculations métaphysiques des Hindous qui ne pouvaient se satisfaire de simples dogmes. Aussi les Hindous disent-ils que l'Atman est absolu et qu'il pénètre tout, donc infini. Il ne peut y avoir deux infinis car ils se limiteraient l'un l'autre et deviendraient finis. Aussi chaque âme individuelle est une part et une partie de cette Âme Universelle qui est infinie. C'est pourquoi en blessant son voisin, l'individu se blesse lui-même en réalité. C'est la vérité métaphysique de base qui est à la base de tous les codes de morale. On croit aussi souvent qu'une personne, dans son progrès vers la perfection passe de l'erreur à la vérité ; que lorsqu'il passe d'une pensée à une autre il doit nécessairement rejeter la première. Mais aucune erreur ne peut conduire à la vérité. L'âme passant par ses différentes étapes va de vérité en vérité, et chaque étape est vraie; elle va d'une vérité inférieure à une vérité supérieure. Ce point peut être illustré de la manière suivante. Un homme voyage vers le soleil et prend une photographie à chaque pas. Quelle différence va-t-il y avoir entre la première photographie et la seconde et plus encore entre la première et la troisième ou la dernière, quand il atteint le soleil réel ! Mais toutes ces photos, bien qu'elle diffèrent tant l'une de l'autre, sont vraies, elles ne font qu'apparaître différentes du fait des conditions changeantes de temps et d'espace. C'est la reconnaissance de cette vérité qui a permis aux Hindous de percevoir la vérité universelle de toutes les religions, de la plus basse jusqu'à la plus élevée ; elle a fait d'eux le seul peuple qui n'ait jamais connu de persécutions religieuses. Le tombeau d'un saint musulman qui est à présent négligé et oublié par les musulmans est vénéré par les Hindous ! On peut citer beaucoup d'exemples de ce même esprit de tolérance.

Le mental oriental ne pouvait pas être satisfait avant d'avoir trouvé ce but qui est la fin recherchée par toute l'humanité, à savoir l'Unité. Le scientifique occidental cherche l'unité dans l'atome ou dans la molécule. Quand il la trouve, il n'y a plus rien à découvrir pour lui, et il en est de même lorsque nous trouver cette Unité de l'Âme ou du Soi qui est appelée Atman, nous ne pouvons pas aller plus loin. Il devient clair que dans le monde des sens tout est une manifestation de cette Substance Unique. De plus le scientifique est amené à la nécessité de reconnaître la métaphysique quand il suppose que les atomes n'ayant ni largeur ni longueur deviennent pourtant, lorsqu'ils se combinent, la cause de l'extension, de la longueur et de la largeur. Quand un atome agit sur un autre, un medium est nécessaire. Quel est ce médium ? Ce sera un troisième atome. S'il en est ainsi, alors la question demeure sans réponse, car comment ces deux atomes agissent sur le troisième ? Un reductio ad absurdum évident. Cette contradiction dans les termes se trouve aussi dans l'hypothèse nécessaire à toute science physique qu'un point est ce qui n'a ni parties ni magnitude, et qu'une ligne a une longueur sans largeur. Cela ne peut se voir ni se concevoir. Pourquoi ? Parce qu'ils ne viennent pas à la portée des sens. Ce sont des conceptions métaphysiques. Nous voyons ainsi que c'est finalement le mental qui donne une forme à toute perception. Quand je vois une chaise, ce n'est pas la chaise réelle extérieur à mon œil que je perçois, mais quelque chose d'extérieur plus l'image mentale qui est formée. Ainsi même le matérialiste est conduit à la métaphysique en toute extrémité.